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Pop Life
Par Benjamin Berton
Il y a eu deux livres rock’n’roll en 2010 : l’autobiographie de Keith Richards, Life, dont tout le monde a parlé et celle de Jerry Leiber et Mike Stoller, Hound Dog. Le premier a donné au rock son esthétique et son style de vie. Les deux autres lui ont donné ce qui faisait sa force : des chansons capables de passer les siècles. Des années 50 à aujourd’hui, deux des plus grands artisans pop que l’histoire ait connus nous offrent avec Hound Dog un voyage miraculeux de fraîcheur et de cool attitude.
L’histoire démarre, comme à n’importe quel endroit de la culture américaine du XXème siècle (BD, cinéma, musique classique), par la rencontre de deux petits juifs nés dans les années 30. Jerry Leiber vient de Baltimore. Mike Stoller a grandi à New York. Les deux familles juives s’en tirent plutôt pas mal et arrivent bientôt à Los Angeles pour se nourrir de Californie et de perspectives de croissances ensoleillées. Leiber et Stoller ne se connaissent pas encore mais sont déjà faits l’un pour l’autre. Stoller a appris le piano dès l’âge de 5 ans. Il rencontre un pianiste boogie-woogie qui l’initie aux façons atypiques de jouer de l’instrument. Leiber rêve de faire du cinéma. Il fait le siège de Cecil B. DeMille qui lui conseille, le plus sérieusement du monde, de faire de la gymnastique. « S’il s’avère, lui dit-il, que vous ne savez pas jouer la comédie, vous serez au moins costaud et séduisant.» Leiber prend un petit boulot dans un magasin de disques et rencontre le producteur Lester Still. Ce dernier lui demande de lui chanter une des chansons dont il lui parle de manière si enthousiaste. Ce sera « Real Ugly Woman ».
Mais Leiber ne sait pas écrire la musique. L’ami à qui il avait pensé pour l’aider vient de perdre son père et lui conseille d’aller voir un pianiste doué qu’il a croisé lors d’un concert. Ce sera Mike Stoller. « Leiber and Stoller » : la signature la plus glorieuse et célèbre de la chanson américaine de ces 50 dernières années, née dans une chambre de gamins âgés de 17 ans. Tout part toujours de là : une chambre magique qui glisse de L.A à Manchester, de Manchester à Liverpool. Le reste appartient à l’histoire du rock et de la culture internationale. Les standards de ces deux-là ont fait le tour de la planète dans des genres assez différents. Les deux hommes s’accordent sur un territoire commun : le blues, qui leur permet d’évoluer aussi bien vers la soul (ils composent avant tout pour des groupes noirs au début) que vers le rock qui n’est pas encore né. Stoller, le compositeur, est sophistiqué et pondéré. Leiber, le parolier, est nerveux et impatient. Les deux hommes, comme tous les grands duos ou presque, ne sont ni tout à fait opposés, ni tout à fait semblables. On appelle ça la complémentarité : la leur est remarquable, professionnellement parlant, mais aussi lorsqu’il s’agit de raconter leur vie.
A toute vitesse
Hound Dog, la chanson qui donne son titre à l’ouvrage, est peut-être la plus célèbre de leurs créations. On voit, sur la couverture du livre, les deux auteurs qui entourent Elvis Presley. Elvis a les yeux qui sourient. Il tient dans les mains la partition de Jailhouse Rock, un autre de leurs tubes. Hound Dog n’était jamais que la 3ème chanson qu’ils écrivaient ensemble. Big Mama Thornton la chantait à la perfection et Elvis a massacré un couplet sans qu’on sache pourquoi. Il les appelait « ses porte-bonheur » avant que le Colonel Parker ne les excommunie et ne mette fin à une collaboration qui aura été aussi brève que fabuleuse. Complémentarité des talents : l’un compose, l’autre écrit, ou les deux, si bien qu’on ne sait, après ces 300 pages, jamais exactement d’où vient « la chose », l’art de composer des chansons. Et c’est ce qui est bien ici : le secret est préservé, la magie est intacte. Jamais de brouilles, assez peu d’engueulades (les divorces sont évoqués avec une retenue magnifique), que du beau sourire californien, des femmes (un peu), de l’alcool (moins qu’en réalité), des échecs qui annoncent des réussites, des coups durs qui relèvent les têtes au lieu de les briser.
Jerry Leiber et Mike Stoller savent y faire : leur récit est fabuleux. L’écriture (le journaliste David Ritz est aux manettes, Hugues Barrière à la traduction) est tout bonnement remarquable : le récit à deux voix de leurs vies s’articule autour d’une alternance de confessions, mi-orales, mi-écrites. Les séquences se mêlent avec une fluidité assez exceptionnelle pour ce genre d’ouvrage. Impossible de voir les coutures. On se plonge au cœur du rêve des deux hommes qu’on accompagne à un rythme effréné, en savourant les anecdotes : la course qui n’aura jamais lieu avec le jeune James Dean, la vie, la mort, les mariages, la famille, l’arrivée de la tornade noire Phil Spector, venu leur arracher leurs secrets pour les faire fructifier ailleurs, Tennessee Williams en happening littéraire et puis l’histoire de la pop qui va et vient comme si elle avait choisi ces deux-là pour se donner en spectacle. Hound Dog raconte la naissance d’un métier (le songwriting) et d’une industrie (du disque, du show). Les partitions s’arrachent. Les grands chanteurs (Presley, Sinatra) ont leurs écuries d’auteurs, des scouts qui repèrent les bonnes plumes. Un business s’organise autour des catalogues et « Leiber And Stoller » survivent, décennies après décennies, avec la solidité d’une chaîne ADN, imperturbable et immuable qui continue de coder des chefs d’œuvre (Stand By Me, le Mirrors de Peggy Lee devenu culte, on en passe des centaines) et de ressusciter les morts. Ni face cachée, ni envers du miroir : tout est juste en place comme dans un conte de fées avec revers de fortune, sorcier noir et princesses charmantes qui se pointent quand il faut. On donnerait son âme au diable mille fois pour avoir eu dix ans de la vie d’un de ces deux-là.
Au final, Hound Dog est peut-être le livre le plus intéressant et le plus optimiste qu’on aura lu cette année, en littérature comme en littérature rock. C’est un parcours de vie qui fait immanquablement penser à la destinée de Joe Shuster et Jerry Siegel, les créateurs de Superman, aux Extraordinaires Aventures de Kavalier et Clay (encore elles !) de Michael Chabon bien sûr, mais aussi à des tas d’autres romans d’apprentissage. Ajoutez y un brin de soleil, quelques paillettes, et des filles belles à couper le souffle (la harpiste Corky Hale, bon dieu), une sélection des meilleures chansons du duo (il existe un mini-coffret en 3 CD qui fait l’affaire et qu’on peut trouver d’occasion pour 10 euros) et vous tenez l’un des cadeaux de Noël les plus chouettes que vous pourrez faire à un amateur de rock.
Hound Dog, l’autobiographie de Jerry Leiber et Mike Stoller, Autour du livre, 2010.
Benjamin Berton
4 reviews for Hound Dog
5
/5Based on 4 rating(s)
5 Star
4 Star
3 Star
2 Star
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Un chien qui remue la queue.
Ce livre est à la hauteur du duo de compositeurs peut-être le plus doué de tous les temps : génial ! Leur histoire est celle de deux très jeunes passionnés de Blues qui veulent juste écrire des chansons pour leurs idoles noires. On y apprend des tonnes d’anecdotes sur leur parcours et celui de leurs chansons. Ironiquement « Hound Dog », qui est le véritable départ de leur carrière, bien que chantée par Presley ne reprend pas les paroles de Leiber mais celles d’une reprise que le King avaient entendues avant l’originale de Big Mama Thorthon. Celles d’Elvis sont beaucoup moins fines et le pauvre Leiber devra ravaler sa frustration devant sept millions de copies vendues par le King.
Ces deux-là sont des légendes et ont mené une vie à leur image : Rock’n’roll, même si cette appellation ne les satisferait pas…
A lire avec un disque des Coasters, de Ben E King ou Peggy Lee en fond sonore, un bourbon à portée de main et la clope au bec, ce sont les dernières volontés de nos deux héros, pas le choix… lisez ce livre absolument.
Dani (via Babelio)
On se plonge dans ce livre dans la musique des années 50, les voix noires merveilleuses des Drifters et des Coasters pour ne citer qu’eux, Elvis Presley et le Colonel…. Leiber et Stoller sont des songwritters de légende qui ont marqué la naissance du rock et on lit leur histoire avec certainement autant d’enthousiasme qu’ils ont eu à la vivre. On a envie de sortir les vieux vinyles en lisant ce livre. A noter, de nombreuses photos à l’intérieur!
Jeronimo
Incontournable !
On ne peut pas ne pas aimer ce livre, ce n’est pas possible. Pour peu qu’on aime la musique, le rock, le blues, Presley, les Coasters….la musique des années 50 quoi ! Leiber et Stoller !!! Oui, ce duo légendaire a écrit les plus belles chansons de ces années là , des titres qui ont fait l’histoire de la naissance du rock n’ roll’. Leur histoire est épatante, il y a de belles rencontres et de beaux moments. Je ne pense pas avoir vu d’autres ouvrages (en français du moins) sur Leiber et Stoller (mais je peux me tromper), et ce livre est admirablement bien écrit (et fort bien traduit). Ce bouquin est tout simplement un événement !
Thérèse
Tout simplement épatant ! On se plonge dans ce livre dans la musique des années 50, les voix noires merveilleuses des Drifters et des Coasters pour ne citer qu’eux, Elvis Presley et le Colonel…. Leiber et Stoller sont des songwritters de légende qui ont marqué la naissance du rock et on lit leur histoire avec certainement autant d’enthousiasme qu’ils ont eu à la vivre. On a envie de sortir les vieux vinyls en lisant ce livre. A noter, de nombreuses photos à l’intérieur !