Elvis est vivant !
Auteur

Gabriel Segré

Illustr.

David Scrima

Postface

Hugues Barrière

Parution

Décembre 2007

Pages

192

ISBN

978-2916560-090

Réf. :

CDR009

Elvis est vivant !

Résurrection(s) du Roi
par Gabriel Segré
Postface de Hugues Barrière
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Le 18 août, dans un cortège funèbre composé de dix-sept limousines blanches, le corps d’Elvis Presley est emmené vers le cimetière Forest Hill avec les honneurs dus à un chef d’État. C’est, semble-t-il, la fin d’une vie, d’une œuvre, d’une histoire, d’un phénomène qui ont bouleversé la musique et la culture populaire. La fin ? Pas tout à fait. Car Elvis Presley va renaître, devenir l’un des plus grands mythes du vingtième siècle et l’objet d’un culte croissant, plus complexe, plus grand, plus fort, plus adulé. Son succès posthume est retentissant. Pourquoi, une fois mort, n’est-il donc pas progressivement tombé dans l’oubli qui guette les gloires disparues ? Pourquoi et comment est-il devenu ce personnage omniprésent, régnant au panthéon des plus grandes figures du siècle ? Pourquoi lui ? Comment cela s’est-il produit ? Qui furent les artisans de la résurrection de ce Roi quasiment déchu à la veille de sa mort ? Pour répondre à ces questions, le sociologue Gabriel Segré, spécialiste du « culte Presley », dissèque la façon dont a été élaborée la postérité du King, montre comment s’est construit et développé son mythe, comment est né et a grandi le culte – souvent empreint d’une grande religiosité – qui lui est voué par des fans et fidèles toujours plus nombreux. Il permet de comprendre pourquoi il est finalement permis aujourd’hui d’affirmer : ELVIS EST VIVANT !

“Elvis est vivant ! est une lecture absolument passionnante, dissection méticuleuse et curieuse d’un phénomène sans équivalent” (Vincent Théval – Magic)

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Dans l’après-midi du 16 août 1977, Elvis Presley est retrouvé inanimé dans sa salle de bain. Il décède quelque temps plus tard au Baptist Memorial Hospital de Memphis, âgé de 42 ans. La nouvelle fait instantanément le tour du monde. Les radios modifient leur programmation. Les journaux changent leur une. Soixante-quinze mille personnes se regroupent devant les grilles de Graceland, la propriété du chanteur, afin de lui rendre un ultime hommage. Les déclarations officielles, éloges et messes se multiplient. Le 18 août, dans un cortège funèbre composé de dix-sept limousines blanches, le corps de Presley est emmené vers le cimetière Forest Hill avec les honneurs dus à un chef d’État. On ne trouve plus une fleur dans tout le Mississippi. Elvis Aaron Presley, le roi du rock’n’roll, né à Tupelo en 1935, est mort et enterré. C’est, semble-t-il, la fin d’une vie, d’une œuvre, d’une histoire, d’un phénomène qui ont bouleversé la musique et la culture populaire. La fin ? Pas tout à fait. Car Elvis Presley va renaître, devenir l’un des plus grands mythes du vingtième siècle et l’objet d’un culte croissant. Son succès posthume est retentissant. Elvis renaît, plus complexe, plus grand, plus fort, plus adulé. Il vend année après année toujours davantage de disques et établit aujourd’hui encore de nouveaux records de recettes. Pourquoi, une fois mort, n’est-il donc pas progressivement tombé dans l’oubli qui guette les gloires disparues ? Pourquoi et comment est-il devenu ce personnage omniprésent, régnant au panthéon des plus grandes figures du siècle ? Pourquoi lui ? Comment cela s’est-il produit ? Qui furent les artisans de la résurrection de ce Roi quasiment déchu à la veille de sa mort ? Pour répondre à ces questions, le sociologue Gabriel Segré, spécialiste du « culte Presley », dissèque la façon dont a été élaborée la postérité du King, montre comment s’est construit et développé son mythe, comment est né et a grandi le culte – souvent empreint d’une grande religiosité – qui lui est voué par des fans et fidèles toujours plus nombreux. Il permet de comprendre pourquoi il est finalement permis aujourd’hui d’affirmer : ELVIS EST VIVANT !

1. Le déni des disbelievers

     L’élaboration et la perpétuation d’un mythe est bien évidemment le résultat d’une forme de refus de la mort. Ceux, dont on a vu qu’ils avaient intérêt à ce qu’Elvis continue d’occuper le devant de la scène, vont donc œuvrer efficacement pour que l’on ne l’oublie pas. Mais ils n’en acceptent pas moins la réalité de la mort physique du chanteur, le 16 août 1977, et les conclusions de l’enquête.
Ce n’est pas le cas de tous. Certains – des fans essentiellement – qu’on appelle les « disbelievers » (« ceux qui ne croient pas ») refusent la thèse de la mort du chanteur et sont convaincus qu’après avoir scénarisé et simulé sa mort, il coule en réalité des jours paisibles quelque part dans le monde. La nuit du 29 août 1977, trois hommes sont arrêtés alors qu’ils tentent de dérober le corps de Presley enterré au cimetière de Forest Hill. L’un d’eux déclare qu’il voulait ouvrir le cercueil pour prouver qu’il était vide et qu’Elvis était encore en vie. Depuis, médias et presse à sensation confortent ces disbelievers dans leur conviction, l’alimentant depuis 1977 avec de nouveaux témoignages de l’existence de Presley. En 1989, le Geraldo Riviera Show propose un débat télévisé auquel participe un médium, sur le thème « Elvis est-il toujours vivant ? ». La radio W.Y.H.Y. de Nashville promet un million de dollars pour une interview de Presley, tandis que le journal The Sun propose à Elvis de venir chanter au moins trois de ses tubes à la rédaction en échange d’une rémunération de 1,75 million de dollars .

Le groupe des disbelievers grandit d’année en année et affine sa thèse, l’étaye de nouveaux arguments, au point de convertir certains indécis. Une étude parue au milieu des années 1990 témoigne de ce que 17 % des américains croient le chanteur encore vivant . Le phénomène prend de l’ampleur et suscite de plus en plus de films : le dernier en date – Bubba Ho-Tep, de John Coscarelli (États-Unis, 2002) – met en scène un Elvis vieux et handicapé, passant ses vieux jours dans une maison de retraite aux États-Unis. Le réalisateur Adam Muskiewicz tourne en 2007 un documentaire sur le sujet, The Truth About Elvis, résultat d’une longue enquête de deux ans l’ayant conduit à réaliser plus de cent cinquante entretiens avec des personnes persuadées qu’Elvis n’est pas mort. Lui-même convaincu, il a offert une récompense de trois millions de dollars à qui en apporterait la preuve. Les ouvrages sur la question sont légion. Certains analysent cette « incrédulité », d’autres la soutiennent : Gail Brewer Giorgio a écrit un livre au titre révélateur, vendu avec une cassette contenant une chanson prétendument enregistrée par le chanteur en 1981, soit quatre ans après sa mort, ainsi que l’enregistrement d’une communication téléphonique donnée par le chanteur après la date de sa mort officielle .

L’association « Elvis lives fan club » rassemble divers témoignages et se donne pour objectif d’établir la vérité. On peut acheter via son site des tee-shirts portant l’inscription « He’s alive » (« il est vivant »). Un américain, Phil Aitcheson, a fondé en 1992 une « Commission Presley », qui réunit un réseau d’individus désireux d’enquêter sur la mort de Presley. Cette commission se veut un centre de vérification des multiples témoignages et éléments nouveaux (photographies d’Elvis après sa mort, enregistrements sonores de sa voix, documents divers…) concernant l’existence « posthume » du chanteur. Elle a publié en 1995 un rapport soutenant la thèse d’une probable organisation de la mort de Presley pour le soustraire à des menaces, avec la complicité des membres les plus influents du gouvernement américain.

Ainsi organisés en associations ou commissions, les disbelievers avancent de nombreuses et prétendues preuves permettant de ne pas croire en la version officielle de la disparition du King. Le comportement d’Elvis avant sa mort est présenté comme troublant. En effet, le chanteur aurait par exemple conclu son ultime concert à Hawaii en gratifiant son public d’un « adieu » alors qu’il avait coutume de déclarer « on se revoie au prochain show ». De plus, il aurait dédaigné de commander les indispensables nouveaux costumes pour sa pro-chaine tournée déjà programmée. La divergence des témoignages de ceux qui l’ont découvert et lui ont apporté les premiers soins est également soulignée : un pompier affirme que le corps était froid à l’arrivée des secours à Grace-land, démenti par un autre qui prétend qu’Elvis semblait respirer encore. Ces deux affirmations contradictoires sont confirmées, l’une par Ginger Alden et Al Strada, la seconde par Joe Esposito. La disparition des prélèvements effectués lors de l’autopsie (envoyés sous scellés à Washington) et celle du certificat de décès original, semblent autant de preuves de la manipulation selon les disbelievers. La précipitation avec laquelle a été effectué l’enterrement, le fait que le prénom complet de Presley soit mal orthographié sur la stèle (Elvis Aaron en lieu et place d’Elvis Aron), ou encore que le chanteur soit enterré non pas auprès de sa mère conformément à son vœu mais entre son père et sa grand-mère, remettrait sérieusement en cause la réalité de sa mort.

La thèse de l’organisation de sa propre disparition par Elvis serait en outre attestée par sa passion pour la numérologie (le livre des Nombres de Chiro) et par un savant calcul mathématique : l’addition des chiffres de la date de sa mort (16 + 08 + 1977) donne le résultat 2001, titre du film favori du chanteur dans lequel le héros planifie son immortalité. Les disbelievers citent également une conversation téléphonique qu’aurait eue Presley deux jours avant sa « mort » avec une amie, Mademoiselle Forster. Il lui aurait annoncé qu’il n’effectuerait pas sa prochaine tournée et lui aurait recommandé de ne pas croire ce qu’elle lirait bientôt à son sujet dans la presse et de ne pas s’en inquiéter.

Pour asseoir la thèse de la mise en scène de la mort de Presley, les disbelievers révèlent les différents motifs du chanteur. Victime de sa popularité, il ne supportait plus son existence de reclus, condamné à se cacher, à se déguiser et à faire appel à des sosies pour tromper la surveillance incessante des fans et des paparazzi. En fin de carrière, épuisé, malade, vieil-lissant, il rêvait d’une telle issue. Il avait d’ailleurs déjà mis en scène son propre assassinat par un tueur, afin d’observer les réactions de ses proches. De plus, sa vie, affirment les disbelievers, était menacée, du fait de son active collaboration avec le gouvernement contre les réseaux du crime organisé (collaboration « prouvée » par son obtention du badge du FBI).

Ses connaissances en matière de pharmacologie ainsi que son expérience des arts martiaux et des techniques de respiration auraient permis à Presley de donner le change lors de la découverte de son corps. Il aurait ainsi simulé la mort en ralentissant son rythme cardiaque et sa respiration. Certains avancent qu’il aurait même bénéficié, pour l’organisation de sa nouvelle vie sous une fausse identité, de l’aide précieuse d’un expert en la matière : son propre manager, le Colonel Parker, immigrant hollandais lui-même entré aux États-Unis sous une fausse identité. D’autres considèrent qu’Elvis a bénéficié du programme fédéral de protection des témoins mis en place par l’administration américaine, qui permet de changer d’identité et de protéger un individu contre les risques de pression ou de représailles. Selon cette thèse, le chanteur aurait bien été victime d’un malaise cardiaque le 16 août dans sa salle de bain puis aurait été transporté au Baptist Memorial Hospital. Mais il au-rait été réanimé et transporté dans le plus grand secret en hélicoptère vers une destination inconnue. Chaque témoignage concernant ce mystérieux hélicoptère aux abords de l’hôpital vient confirmer la thèse du « programme de protection des témoins ».

Autre piste : le cercueil était bien trop lourd. Son poids de neuf cent livres (quatre cent cinquante kilos) s’expliquerait par la présence non d’un corps mais d’un mannequin de cire et d’un système de réfrigération empêchant la cire de fondre (à l’origine du froid qui, aux dires de certains, se dégageait du cercueil). Cette thèse du mannequin de cire est fréquemment avancée pour expliquer les dissemblances entre le corps dans le cercueil et celui d’Elvis (un corps trop petit d’une dizaine de centimètres et trop mince, un nez aplati, des sourcils trop arqués, des mains trop lisses, le « décollement » d’un des favoris…), au point que même certains membres de la famille ne reconnaissent pas Elvis lors de la veillée funèbre. Selon les disbelievers, c’est ce même mannequin de cire et non la dépouille du chanteur, qui sera transporté dans le fourgon mortuaire lors de la procession sur le boulevard Presley, puis mis en terre.

Parmi les autres « preuves » du décès simulé d’Elvis figure le fait qu’il ait été « vu », quelques heures après sa mort, achetant un billet d’avion pour Buenos Aires sous le pseudonyme Jon Burrows, que Presley avait l’habitude d’utiliser pour préserver son anonymat. Lucy de Barbon, une ancienne conquête du chanteur, aurait reçu une rose avec une carte signée « El Lancelot », sur-nom qu’elle donnait à Elvis lors de leur relation, détail connu d’eux seuls. Beaucoup sont ainsi convaincus qu’Elvis est non seulement vivant mais qu’il s’est offert le luxe d’un retour quelque temps parmi nous. En effet, succom-bant au désir de chanter à nouveau et de retrouver les joies de la scène, il aurait organisé ce retour sous l’identité d’Orion (Jimmy Ellis de son vrai nom), un chanteur masqué ayant réellement existé et qui lui ressemblait étrangement.
Il est important de préciser que les disbelievers ne croient pas en une résurrection d’Elvis Presley qui impliquerait sa mort, puis le miracle de son retour à la vie : ils réfutent la mort elle-même. La thèse de la manipulation et de la mise en scène de la fausse disparition, le type de démonstration et d’argumentaire (recours à la preuve scientifique, souci affirmé d’objectivité et de distanciation, revendication de la rigueur comme de la précision), le procédé d’investigation (enquête, scientifique, policière, journalistique), le mode d’organisation (en commission d’enquête) sont du registre de la rationalité et non de la croyance, de la foi ou du religieux.

Le succès de la thèse des disbelievers repose non seulement sur le refus de la mort de l’être adoré mais aussi sur la théorie de plus en plus répandue de la « conspiration », cette conspiracy theory selon laquelle on nous trompe et on nous ment au profit d’une cause secrète qui nous dépasserait. Semblables suspicion ou fantasme (sans toutefois susciter un tel phénomène) entoure les disparitions de Jim Morrison, Marilyn Monroe, John F. Kennedy ou même Napoléon. Lorsque l’on ne nie pas la réalité de la mort, on en réfute la version officielle au profit d’une version plus mystérieuse ou scandaleuse et tenue secrète : un suicide, un meurtre, une overdose… Il reste que le déni de la disparition du chanteur est un phénomène marginal. Ce n’est pas lui qui explique qu’Elvis soit toujours « vivant ». Il serait, au contraire, du fait même qu’il implique la négation de la mort, un obstacle à la résurrection d’Elvis Presley comme héros mythique.

© 2007, Autour du livre.

Gabriel Segré

Gabriel Segré

Auteur, sociologue

Auteur du cahier #9 : Elvis est vivant !

Maître de conférences à l’université de Nanterre-Paris X où il enseigne la sociologie de la culture et l’anthropologie, Gabriel Segré s’est spécialisé dans l’étude du « culte Presley », à propos duquel il a déjà publié deux ouvrages : "Le culte Presley" (PUF, 2003) et "Au nom du King. Elvis, les fans et l’ethnologue" (Aux Lieux d’Être, 2007).

Le mot de l’auteur

« A l’origine, il y eut cette question posée par Hugues Barrière : Pourquoi Elvis Presley est-il si important encore aujourd’hui, si « vivant », si omniprésent, trente ans après sa disparition ?
J’ai donc regardé « vivre » et grandir Elvis Presley, depuis 1977 jusqu’à aujourd’hui. J’ai alors observé la « résurrection » d’un chanteur disparu, sa croissance comme héros moderne, son épanouissement comme mythe contemporain. Face à la publication des premiers livres biographiques, à la réédition des disques, à l’édification des statues, à l’inauguration des musées, au développement des grands rites commémoratifs tels que la Candlelight, aux pèlerinages à Graceland, j’ai vu se développer un prodigieux processus de sacralisation et d’héroïsation, de mise en récit mythique, ou de mythologisation d’un individu singulier, de son existence, des lieux qu’il a fréquentés.
J’ai vu Elvis Presley en statue, et sur un bol de café. Je l’ai vu sur un timbre, sur un programme de cours universitaire, ou encore tatoué sur la peau d’un admirateur. Je l’ai rencontré partout et multiple, réduit à une image, ou érigé en modèle. Adoré ou méprisé. Objet de blagues et de sarcasmes pour les uns, modèle exemplaire pour les autres, poule aux œufs d’or, ou parfois véritable planche de salut, j’ai vu Elvis Presley répondre à un désir de distraction, à une volonté esthétique, comme à un besoin de sacré et à une quête de sens. Je l’ai vu symbolisant tout et son contraire : la libération des noirs et leur exploitation, l’émancipation des femmes et leur oppression, la virilité et l’androgynie, la rébellion juvénile et le conservatisme républicain, la pudibonderie et la frénésie sexuelle, la bigoterie et le diable.
J’ai vu également grandir un culte profane, organisé avec une efficacité redoutable par une multinationale, l’Elvis Presley Enterprises ; un culte avec ses rites, ses croyances, ses dogmes, son éthique, et surtout ses fidèles : ces centaines de milliers d’admirateurs qui vénèrent Presley et diffusent son « message d’amour », de libération et de réussite.
A regarder ainsi les milles figures d’Elvis aujourd’hui et l’ensemble des manifestations qu’il suscite, j’ai observé une forme de la délocalisation du religieux et de l’investissement religieux : de la sphère du sacré à la sphère profane, des Églises à la culture de masse. J’ai vu se diffuser et se transmettre des valeurs et représentations, des pratiques et des modèles de comportement ; j’ai vu la façon dont ils se globalisent, diffusés qu’ils sont dans le monde entier, et dont ils sont, localement, réinterprétés, réappropriés, détournés, ou réinventés.
C’est tout cela que j’ai voulu raconter et expliquer dans cet ouvrage. En espérant avoir apporté un début de réponse à cette question d’Hugues, si essentielle. »

Gabriel Segré

Presley, sa vie, son œuvre, son mythe, ont généré une somme colossale d’exégèses plus ou moins complètes ou farfelues. Après la somme définitive de Peter Guralnick, mieux vaut arriver avec quelque chose d’original à dire ou un angle d’attaque singulier. Nikola Acin, déjà auteur d’articles sur le King pour Rock & Folk, s’en tire à bon compte. Comme une vision en négatif d’une glorieuse et tragique épopée, Qui a tué Elvis ? est une biographie synthétique habilement envisagée. Par chapitres thématiques, l’auteur y passe en revue la vie d’Elvis comme une succession de renoncements, cicatrices jamais refermées, autant de morts symboliques obéissant à une implacable logique d’enfermement qui trouve sa conclusion dans une marre de vomi le 16 août 1977. Un angle de tir qui permet d’éviter une laborieuse construction chronologique mais pas les répétitions ou les raccrochages parfois un peu téléphonés à la problématique. Le travail de Gabriel Segré est d’une tout autre nature, d’une autre ampleur aussi. Maître de conférence en sociologie de la culture et anthropologie, l’auteur se place aux antipodes du style journalistique bouillonnant d’Acin. Dans ses bagages, une solide méthodologie (plan rigoureux, notes de bas de page), une écriture universitaire un peu académique mais d’une clarté remarquable, et surtout un sujet en or : la construction d’un mythe, l’élaboration d’un culte. Elvis est vivant ! est une lecture absolument passionnante, dissection méticuleuse et curieuse d’un phénomène sans équivalent, qui en dit long sur son temps et le notre. Rien ne semble échapper à Gabriel Segré qui envisage son sujet sous l’angle économique, sociologique, religieux, historique, et place son étude au cœur d’une problématique très contemporaine, dont chacun pourra reconnaître les avatars dans l’actualité : la construction d’une mémoire, d’un récit. L’image d’Elvis Presley en ressort encore plus impressionnante et monstrueuse que dans une biographie classique, agrégat fantastique et effrayant des névroses, fantasmes, manques, enthousiasmes et contradictions de notre époque.
Vincent Théval    ••••°°/•••••°

À l’heure du départ à l’impression, nous venons d’apprendre le décès tragique de Nikola Acin. Toutes nos condoléances à sa famille, à ses proches et à ses collègues de Rock & Folk.

L’empire Elvis

Quand certains d’entre nous se contentent d’écouter du rock pour le plaisir de la musique trop fort ou de danser comme des débiles, d’autres, plus intellos, faut croire, y voient et entendent de plus profondes implications carrément sociétales. Ouais, ne s’est-on jamais demandé, en écoutant un bon vieil Elvis, les raisons profondes de son élévation au rang de pur mythe ? Pourquoi avait-il traversé sans désert la petite mort des stars disparues ? A qui profite le crime ? Gabriel Segré, sociologue et anthropologue, étudie le cas Elvis depuis plusieurs livres et dans ce troisième ouvrage, “Elvis est vivant, résurrection(s) du roi”, se penche plus précisément sur la naissance du mythe, son élaboration, l’héroïsation du saint et martyr par ses gardiens du temple, les implicatins de l’agressive politique commerciale de l’empire Elvis et ses multiples résonances religieuses et grégaires que le monstre phénoménal génère encore aujourd’hui. Culte vivace, symbole lourdement chargé, cash à gogo, Elvis est indiscutablement plus vivant que jamais et n’est, semble-t-il, pas près de quitter le building.

Agnès Léglise
(mars 2008)

Elvis, nouvelle divinité d’une alter-religion ?

par Hugues Barrière

         Elvis is alive ! Elvis est vivant… Cette expression parodique, humoristique et religieusement connotée, qui renvoie évidemment à l’expression chrétienne « Jésus est vivant » et au thème de la résurrection, est assez courante aux États-Unis. On l’emploie pour rire dès que l’esprit ou la figure d’Elvis semble se manifester, au détour d’une conversation ou d’une circonstance de la vie quotidienne. En France, on dirait « Elvis, sors de ce corps ! ». Mais les États-Unis conservent encore aujourd’hui, jusque dans la devise de leur monnaie, « In God we trust » (En Dieu nous croyons), un lien fort avec la religion. D’où, probablement, cet emprunt au culte chrétien. Mais est-ce seulement ça ? N’y a-t-il pas quelque chose de plus profond derrière cette boutade ? L’étude des mythologies et des religions montre qu’au-delà de toute question de foi en une « présence suprême », ce sont toujours les hommes qui ont défini leurs dieux, et non l’inverse, les faisant varier et évoluer en genre, en nombre et en qualité d’une civilisation à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un millénaire ou d’un siècle à l’autre. Parfois même d’un individu à l’autre. Sur cette base, Elvis ne pourrait-il pas être considéré comme une sorte de divinité moderne, symbole d’un rock’n’roll qui, émergeant des années 1950 et d’un conflit mondial ayant mis à mal bon nombre de croyances, tenterait d’apporter de nouvelles réponses ? Malgré ce que cette idée peut avoir a priori de saugrenu, de surprenant, voire de choquant pour certains, ne pourrait-on voir dans le rock’n’roll autre chose qu’un simple divertissement, non pas une nouvelle religion à part entière mais un mouvement se développant sur certains terrains communs à ceux de la religion, au sens propre comme au sens figuré, et entrant parfois même en concurrence avec la religion ? En d’autres termes, une alter-religion, dont Elvis Presley serait la figure initiale et fondatrice sur laquelle les hommes auraient plaqué leurs besoins, leurs rêves, leurs questions, leurs fantasmes et leurs espoirs, le prophète transgressif puis consensuel auquel des individus (bien ?) intentionnés auraient attribué la part de mystère nécessaire à l’avènement de toute nouvelle croyance ?

Le sociologue Fabien Hein, dans son ouvrage « Rock & Religion, Dieu(x) et la musique du diable » (paru en 2006 dans cette même collection des cahiers du rock) dresse un inventaire vaste et approfondi des rapports entre rock et religion. Pour lui, sans aucun doute possible, le rock n’est pas une religion à proprement parler. Parler de « dieux du rock » ne serait, en quelque sorte, qu’un abus de langage. Je serais plus nuancé. Certes, dire de butte en blanc que le rock serait une nouvelle religion à part entière, qu’Elvis lui-même serait un nouveau dieu, ou un nouveau prophète de descendance divine, est une thèse risquée. Mon propos ici n’est pas de heurter les croyances des uns ou des autres. Mais au moins peut-on déjà s’accorder sur le fait que le mythe d’Elvis n’est pas exempt d’une certaine forme de religiosité , comme Gabriel Segré l’a clairement exprimé dans cet ouvrage, à en juger par les comportements observés parmi ses fans, dans le culte qu’ils lui rendent. Un certain nombre d’arguments et d’observations – historiques, géographiques, sociologiques, philosophiques, religieuses, musicologiques… – permettent également de dresser des comparaisons voire des parallèles troublants entre rock et religion, notamment au niveau des thématiques, des phénomènes de déification, du culte, de la liturgie, du vocabulaire… Certes, comparaison n’est pas raison, mais ces arguments méritent néanmoins, à mon avis, d’être pris en considération avant de se forger une opinion sur cette question, qui est bien plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi, avant d’en venir à l’idée que ce culte voué à Elvis pourrait bien, finalement, être de nature intrinsèquement religieuse, pas seulement de la part d’une poignée de fans extrémistes mais plus globalement, dans son fondement, j’ai accumulé puis mis en perspective un certain nombre de constats, de réflexions, d’hypothèses et de rapprochements, mais aussi, pour être tout à fait objectif, de contradictions, relatifs à la musique et aux religions en général, au rock, ou à Elvis Presley en particulier.

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    DIDIERLAURENT

    Bon livre sur Presley
    Bonne étude sur le culte d’ELVIS PRESLEY. Le livre est un peu court mais intéressant tout de même. On apprend peu de choses sur la vie de Presley mais ce n’est pas le sujet du livre.

    04/11/2016
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    Raoul (amazon.fr)

    Fine étude.
    Pour une fois qu’un sociologue français se penche sur le phénomène Presley, c’est une réussite. Cet aspect de la musique populaire est trop peu étudié dans notre pays qui se complet dans la “KULTURE” classique mais ignore totalement ce qui fait l’histoire musicale populaire. A quand la même étude fouillée sur nos années 60/70 ?

    10/12/2013

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