Hubert Mansion
Avocat international spécialiste de l‘industrie musicale depuis 25 ans, Hubert Mansion a donné des conférences dans le monde entier et conseillé de nombreux artistes ainsi que plusieurs organismes pour la protection des auteurs et des interprètes. Quand on lui demande dans quel droit il est spécialisé, Hubert Mansion répond : « Dans le droit d’accomplir vos rêves ». Il est en outre, avec ses frères Ben et Alec, le co-auteur du mémorable tube « C’est l’Amour » (Léopold Nord et Vous, 1987).
Visitez son site officiel www.hubertmansion.com.
Voici le verbatim d’un entretien d’Hubert Mansion et de son éditeur Hugues Barrière avec Babelio (2009)
Après des décennies de show-biz et de fascination du public pour cet univers, on se demande, à la lecture du livre, comment il est possible qu’un tel livre portant sur l’intégralité du milieu musical n’ait pas été publié plus tôt…
Hubert Mansion : C’est une excellente question à laquelle je suis incapable de répondre. J’ai l’impression que beaucoup de journalistes préfèrent faire rêver leurs lecteurs à propos des mythes plutôt que de dire la vérité. S`ils disent que la personne qu’ils décrivent comme un mythe est une personne normale alors eux-mêmes descendent de leur piédestal parce qu’ils se présentent toujours comme proches de l’artiste.
Alors en plus en France c’est quand même un endroit où on aime pas trop parler d’argent alors même que tout le monde est obsédé par l’argent comme partout ailleurs.
Hugues Barrière : En France on pense souvent que les artistes font de l’art pour l’art comme s’ils n’étaient pas intéressés par l’argent alors qu’ils sont tous obnubilés par ça…
Hubert Mansion : il n’y a aucune honte cela. J’ai récemment entendu Francis Ford Coppola dire qu`il avait aujourd’hui, grâce à l`argent, la possibilité de faire les films qu`il voulait faire.
Tout n’est pas une question d’argent dans la vie, mais dans le show-business, ce n’est que ça.
Mais pourquoi personne n’a écrit un livre comme celui-là auparavant reste un vrai mystère… Quand j’ai commencé j’ai cherché partout… Quand j’étais jeune avocat je voulais absolument des informations mais je ne trouvais rien alors qu’aux États-Unis il y a une pléthore de livres sur la business de la musique. On en trouve des centaines…
Mais vous avez une approche assez généraliste, vous passez en revue tous les aspects du show-business…
Hubert Mansion : La différence qu’il y a entre ces livres et celui-ci, c’est que je n’avais vu un livre qui aborde autant l’aspect juridique que les aspects marketing. Généralement ça va être soit juridique, soit uniquement marketing. Moi ce qui m’intéressait c’était justement toute la machine.
Vous pointez, au centre de tout, le rôle du manager. En France ils ont une très mauvaise réputation. On les traite souvent d’escrocs…
Hubert Mansion : Oui, alors que dans tous les cas que j’ai vu, je dirais que dans 8 cas sur 10, c’est l’artiste qui escroque le producteur…
On en revient à cette idée de mythe : certaines figures comme le Colonel Parker (manager d’Elvis Presley) ont certainement favorisé cette image de personnages géniaux mais aux intentions ambiguës…
Hubert Mansion : Lui, c’était un escroc bien avant de devenir un manager… Les managers que j’ai connus ce sont des gens qui ont fait ce métier pour une seule raison : la passion d’un artiste et la volonté absolue que cet artiste voit le jour, connaisse une carrière, etc. et ils se battent pour cela…
C’est incroyable l’énergie qu’il faut pour faire ce métier. Et sans ça, c’est très dur de faire une carrière qui dure et qui soit internationale. Moi je n’en connais aucun qui ait fait une carrière internationale sans manager. Les artistes n’en parlent pas mais ils ont un rôle essentiel. Je vais vous donner un exemple : je connais très bien l’ex-manager d’ Isabelle Boulay. Quand elle avait un entretien avec une journaliste, le manager lisait toutes les entrevues qu’avait faite cette journaliste dans les deux ans précédents, voyait les sujets qui l’intéressaient, préparait Isabelle pour l’entretien en lui disant « il faut que tu parles de ça, de ça, etc… » et comme ça quand ils arrivaient à l’entrevue, comme par hasard, ils partageaient les mêmes sujets d’intérêt ! C’est ça le travail d’un manager, il faut être un pro de la communication, de la négociation, tout ce que l’artiste n’est pas forcément capable de faire…
Mais l’artiste est souvent vu en France, justement, comme devant être capable de tout savoir faire…
Hubert Mansion : Même dans le milieu du livre il n’y a pas d’agent, alors c’est le pauvre auteur qui doit aller voir l’éditeur et lui demander si ça l’intéresse d’avoir son manuscrit alors qu’un agent pourrait être très utile.
Vous dites que la clef de la réussite c’est le travail mais aussi une patiente absolue. Même si on a du talent on ne peut réussir sans ces deux éléments…
Hubert Mansion : Le pire ce sont les artistes qui ont du talent mais qui sont ingérables, qui sont incapables d’avoir un manager ou d’accorder de la confiance à d’autres personnes.
On comprend dans votre livre les contradictions que l’on doit porter en soi pour espérer réussir : il faut être suffisamment original pour se démarquer mais il faut en même temps s’approprier certains codes existants, suivre un chemin déjà balisé…
Hubert Mansion : Il y a l’ambivalence entre les rayons tous faits dans lesquels on doit se placer et la liberté dans laquelle on doit rester en tant qu’artiste.
C’est la même chose quand vous faites un livre ou un disque : le premier problème du libraire c’est de savoir où il doit ranger le livre. S’il est dans deux catégories à la fois, ça fait exploser l’ordinateur ! On entre dans un monde de cases. Un monde informatique du « oui ou non » où il n’y a plus de place pour une troisième voie. Mais on est dans un moment charnière dans l’histoire de la société. Tous les codes sont en train d’exploser. Beaucoup n’ont pas encore compris ça.
Un changement dû à Internet ?
Hubert Mansion : C’est le grand mystère : est-ce que c’est internet qui a changé les habitudes et les comportements de la société ou est-ce ces changements qui ont abouti à Internet…
Par exemple aujourd’hui les gens n’ont plus envie d’attendre. Les jeunes générations n’ont pas la même relation avec le temps. Ils ne supportent plus d’attendre. C’est un changement de paradigme intéressant.
De même avec Internet, il y a un public, un marché pour tout. La problématique étant de définir le public en question et de le retrouver. Mais il est là. En positionnant le produit par rapport à ce public, on n’investit qu’en fonction de ce petit créneau là qui représente 5% de la population, mais 5% de la population Internet ça devient un marché énorme.
On est plus dans le marketing de masse, on est dans le ciblage absolu. Le micro-marketing. N’importe qu’elle petite tranche de la population peut représenter des marchés énormes.
Une des thèses du livre c’est que la crise du disque dont on parle en ce moment, elle est finalement très structurelle. Vous dites que vous en entendez parler depuis 25 ans…
Hubert Mansion : J’entends ce mot « crise » depuis toujours mais la différence aujourd’hui c’est que l’argent est parti de la filière musicale. Quand on est passé du vinyle et de la cassette au cd, l’argent restait dans la filière musicale. Dès l’instant où on a commencé à numériser, qu’on a pu échanger les fichiers, ça été fini. L’argent est parti, en tout cas en ce qui concerne les disques.
Peut-on faire un parallèle avec l’industrie du livre ? Pensez-vous qu’il va se passer la même chose ?
Hubert Mansion : L’erreur de l’industrie musicale a été, avec internet, de ne pas avoir voulu entrer en contact avec les consommateurs. Internet aurait été un moyen mais c’est trop tard maintenant.
Il faut que les éditeurs se mobilisent maintenant pour entrer en contact avec les lecteurs !
Hugues Barrière : Pour intervenir en tant qu’éditeur, ce qu’explique très bien Hubert dans son livre, c’est que l’industrie du disque, si elle a pris la crise de plein fouet comme ça, c’est qu’elle a cru que le disque était une affaire de contenu et non de contenant. Ce que Philips par exemple perdait dans le piratage sur quelques artistes, ils le gagnaient au centuple quand ils vendaient des appareils pour dupliquer des cds ou quand ils vendaient des cds vierges. Le problème c’est qu’aujourd’hui c’est Orange qui prend cet argent, c’est Google…
Hubert Mansion : C’est pour cela que je trouve scandaleux que des gens s’opposent à la licence globale. C’est la seule solution et en attendant, beaucoup d’artistes perdent énormément d’argent. Et qu’on ne vienne pas me dire que la SACEM n’est pas capable d’organiser cette micro répartition. Elle est capable de le faire.
Les artistes se sont fait manipuler par les majors en tenant ce discours : « arrêtez de nous téléchargez, on va mourir ». Les auteurs de livres ont eu l’intelligence de ne pas tenir ce discours. Ils sont habitués à gagner beaucoup moins d’argent. La promotion d’un chanteur, avec la radio, lui fait gagner de l’argent ! Pour l’auteur c’est un investissement souvent contraignant.
Internet semble avoir changé le contenu même des disques. On n’écoute pas la musique de la même façon, notre écoute est beaucoup plus fragmentée. Peut-on envisager la même chose pour notre approche de la lecture ?
Hubert Mansion : C’est déjà le cas. Mon premier livre, Guide de survie des Européens à Montréal , un guide de voyage, peut être vendu en chapitre. Ce qui n’est pas mal. On peut acheter ce qui nous intéresse.
Cela dit, avec internet tout est faussé. Les gens qui lisent des livres, c’est et ça a toujours été une minorité. Maintenant quand on regarde ce qui se passe sur Internet, on compare le comportement d’une minorité avec celui d’une majorité. La plupart des gens qui vont sur internet ne lisent que des textes courts et simples mais ces gens-là autrefois ils n’achetaient de toute façon jamais de livres.
Hugues, en tant qu’éditeur, êtes-vous inquiet des changements induits par le passage au numérique ?
Hugues Barrière : Non, moi ça ne me fait pas peur, ce qui me fait peur, c’est de perdre le contrôle. Autant que l’industrie du disque, l’industrie du livre est une affaire de distribution. Et il est important de la maîtriser. On peut certes télécharger le fichier mais encore faut-il d’abord numériser l’œuvre, ce qui coûte cher, car il faut pouvoir protéger le fichier, et il existe aujourd’hui plusieurs formats d’eBooks ce qui multiplie les coûts. Ensuite, en tant qu’éditeur de livres autour de la musique, je m’adresse principalement à des gens qui ont pris l’habitude de télécharger gratuitement des œuvres. Je suis sûr que si demain je mets mes livres en ligne. Les gens ne paieront pas, ils s’échangeront les fichiers. J’ai peur de me faire déposséder du contenu. Une fois le fichier sur Internet, c’est terminé.
De même, les perspectives de l’auteur et de l’éditeur peuvent être différentes par rapport à Internet. Une grande majorité d’auteurs écrivent des livres par goût, par passion, mais très peu en vivent. Un éditeur, lui, c’est son métier et il a une exigence de rentabilité.
Vous n’êtes donc pas encore prêt à passer le cap de l’édition numérique ?
Hugues Barrière : J’ai deux choses à dire à ce sujet. Très tôt, dès 2008, j’ai voulu faire un test sur un ouvrage de ma collection. J’ai signé un contrat avec une société pour numériser mon livre et le mettre sur son site. Non seulement il n’en a pas vendu beaucoup, mais aujourd’hui en terme de vente papier, c’est l’ouvrage que je vends le moins. Le fichier est parti et à mon avis maintenant il doit s’échanger quelque part…
Hubert Mansion : …mais j’ai tout de même lu des études qui montraient que plus un livre était téléchargé, plus il était acheté…
Hugues Barrière : Je ne sais pas, moi le livre en question il s’est un peu vendu au départ puis plus rien… Je suis sûr qu’il a été piraté et que maintenant le fichier s’échange… C’est le livre qui se vend le moins en papier alors que ceux qui ne sont pas disponibles se vendent mieux.
La deuxième chose c’est que l’éditeur crée aussi quelque chose. Il est moins artiste que l’auteur, évidement, mais il va prolonger le travail de l’auteur en créant une œuvre, un produit d’un manuscrit. Je m’intéresserai à l’édition numérique quand je pourrai utiliser l’outil tel qu’il est. Par exemple je publie des livres sur la musique. Et bien je voudrais pouvoir faire un livre qui ne soit pas juste la reproduction du livre papier mais ce que je voudrais en numérique, c’est la photo d’un artiste cité, le lien vers la chanson dont on parle, l’extrait d’un film évoqué… En sommes, je voudrais une sorte de licence globale de façon à ce que chacun soit rémunéré selon que le lecteur clique sur le lien ou pas, tout ça étant recensé quelque part mais de façon à ce que je puisse utiliser l’outil numérique dans toute sa puissance. La photocopie du livre en pdf, ça ne m’intéresse, ni comme lecteur, ni comme éditeur. Ce que je veux c’est un apport. Sur un Ipad, lire des pages qui défilent, je ne vois pas l’intérêt. Il faut que le livre soit évolutif.
Le problème c’est que quand j’écris à Columbia pour leur signaler que j’ai fait un livre dans laquelle telle chanson est citée et que j’aimerais bien mettre la version numérique de la chanson, que ça va leur apporter de l’argent, à moi aussi etc.., ils disent que c’est trop compliqué, que c’est une usine à gaz, tout ça pour vendre mille bouquins…
Hubert Mansion : Un avocat anglais a récemment démontré dans une étude qu’il était impossible d’obtenir les droits pour faire ce genre d’ouvrages multimédias…
Hugues Barrière : Par exemple, j’ai écrit un dictionnaire du documentaire rock, ce que l’on appelle les rockumentaires. Je me suis posé la question de dire est-ce que je mets les pochettes des dvds. Et bien pour cela je dois demander le droit à chacun des labels de dvds et attendre la réponse de chacun…
Le livre papier n’est donc pas encore tout à fait condamné ?
Hubert Mansion : Je pense que le livre existera toujours…
Hugues Barrière : Je suis sceptique sur les tablettes que je trouve à l’heure actuelle assez peu pratiques. On est à un stade intermédiaire. Il faut encore que les formats se stabilisent. Je ne suis pas persuadé qu’il y ait beaucoup de lecteurs de livres sur tablettes. Seuls les leaders peuvent se lancer pour le moment.
En ce qui me concerne, je me dis qu’il est urgent d’attendre. Même d’un point de vue financier, on ne fait pas encore tant d’économies avec le numérique. Si aujourd’hui je décide de publier Tout le monde vous dira non sur internet je suis obligé de refaire la maquette par exemple. Alors évidement ce sera sans doute moins cher d’envoyer le texte en format pdf à un journaliste que de lui envoyer un livre, avec les frais de Poste, le coût du livre etc… Mais au-delà de ça, le coût d’un attaché de presse représente toujours la moitié, voire les deux-tiers de la promotion d’un livre. Donc le public ne doit pas se leurrer. On économise le coût de distribution papier mais le distributeur du livre en ligne quand il va mettre le livre en vente, il va continuer à prendre 40%.
Hubert Mansion : Sauf si l’on voit arriver un « Itunes du livre ». Tous ces gens-là vont disparaître. Un américain va arriver, quelqu’un qui ne vient pas forcément du livre d’ailleurs, et imposer des prix inférieurs. Diminution du prix de vente mais augmentation du nombre des consommateurs.
Hugues Barrière : Sauf que le coût de production d’un Marc Lévy n’est pas plus élevé que le coût de production d’un livre qui se va se vendre à 300 exemplaires pour une niche… Si vous les mettez tous les deux au même prix vous en avez un qui gagne une fortune et l’autre qui fait faillite. Quand vous vous adressez à une niche vous savez que vous allez en vendre moins et vous allez donc être obligé d’augmenter le prix de vente pour pouvoir supporter les coûts fixes. Comment faire pour rentabiliser mon investissement en terme de coût si le prix de vente est fixé trop bas ?
Hubert Mansion : Mais la niche a considérablement augmenté sur internet, Mylène Farmer sort un titre sur Itunes, n’importe qui au Pérou peut acheter la chanson, de même qu’en Antarctique…
Hugues Barrière : Même en sachant que je peux toucher 1500 personnes, je ne vais pas forcément rentabiliser mes coûts. Même avec internet on va se retrouver avec des best-sellers et d’autres qui se vendront moins. En admettant que je fasse le plein avec une promotion exceptionnelle et une diffusion globale, que je fasse le plein de tous les lecteurs potentiels, j’en aurai forcément toujours moins que pour le prochain livre d’Amélie Nothomb par exemple, alors que les coûts sont les mêmes…
Hubert Mansion : Ça je suis d’accord, mais si on prend avant internet et après, le plein potentiel, en quantité, cela n’a plus rien à voir ! D’où la nécessité de la promotion Internet pour les artistes, les écrivains…
Dans le livre vous parlez cependant du leurre qu’est internet. C’est un média qui apparaît comme idéal, mais surtout pour les artistes déjà connus…
Hubert Mansion : Parce que les petits artistes se trompent ! Ils croient que ce qui intéresse le public c’est les chansons alors que ce qui intéresse les gens c’est eux, mais eux on ne les connaît pas ! Je dis toujours aux artistes de raconter leurs histoires sur Myspace plutôt que de montrer leurs pseudos-clips que tout le monde trouve nuls parce qu’ils n’ont pas le budget. Je leur dis d’essayer de nous émouvoir ! Il doivent se mouiller, physiquement, il faut séduire les gens. L’implication est essentielle mais c’est quelque chose qui se perd.
Hugues Barrière : Oui car il y a un coût humain qui est colossal. La diffusion d’un livre par internet tuera ça. Aujourd’hui on est encore obligé d’appeler les librairies pour qu’ils mettent les livres, on doit se déplacer. Les auteurs aussi. Demain si le livre se distribue automatiquement on appellera plus les libraires et on ne pourra plus faire que des mailings…
Hubert Mansion : Et les libraires il n’en restera que quelques-uns…. Comme les disquaires aujourd’hui…
Vous pouvez également retrouver cet entretien sur la page auteur d’Hugues Barrière
Découvrez « Tout le monde vous dira non » d’Hubert Mansion, paru aux éditions Autour du livre