Je devais avoir dix-sept ou dix-huit ans, je venais de perdre ma mère, et il semblerait que ce soit là un excellent point de départ.
Des heures de queue devant la Brixton Academy de Londres au mois de décembre, un interminable voyage en Eurostar, les doigts crispés sur un appareil photo caché à l’entrejambe pour déjouer la surveillance des vigiles. Les cheveux de David étaient tellement longs que j’en eus pour mon argent. Peut-être à l’époque était-il encore célibataire ? Il y avait toute cette tension, tout ce sperme qui circulait, toutes ces envies. Le premier concert est une expérience parfaitement sexuelle qu’on se rappelle toute sa vie. Tumulte de tambours, larsens à côté de Diane et papa.
Quand il aura fini de jouer dans une heure ou moins David partira et nous ne nous reverrons pas.
Il n’y avait à ce moment là pas une matinée ni une après-midi brûlante sans regarder la pochette de l’album et ce cou, cette nuque tatouée du logo « FF » pour Foo Fighters, nom d’un groupe absurde et laid. Il n’y avait pas une après-midi sans la fenêtre ouverte, sans la moquette rouge de ma chambre et sans les cigarettes. Sans écouter le disque en boucle, sans le remettre encore et encore et trouver à chaque nouvelle écoute quelque chose de nouveau et cette putain de voix sexy qui te murmurait dans l’oreille que tout pour toi était encore possible. Les photos du disque étaient belles et patinées, le genre de photos qui ont l’air intimes et qu’on apprécie, genre prises dans son intimité chez lui.
Il se peut très bien que tout ça n’ait pas vraiment de sens mais cela a-t-il vraiment de l’importance ?
La jeunesse pardonne tous les excès, surtout ceux des sentiments. Je sais que j’aimais déjà David, je sais que je le désirais et c’était normal. Il était beau, il était brun, il était américain. Il avait à l’époque de longs favoris que j’aimais caresser visuellement et des lunettes chromées sur le bout du nez. J’ai gardé toutes les photos de lui de cette époque-là, et il m’arrive encore de les regarder.
David Grohl 2000-2001, post Nothing Left to Lose.
J’aimais les batteurs, j’aimais l’odeur de la sueur, et il était batteur de Nirvana. Pour moi, ceux qui s’étaient arrêtés à sa présence dans ce groupe n’avaient rien compris. Il y avait la lumière que dégageait Kurt Cobain, lunaire, mais malgré tout éblouissante. Il y avait ce soleil sans fin qui faisait de l’ombre aux autres membres du groupe et ce garçon chétif aux cheveux gras derrière lui. Il était jeune, sa jeunesse ingrate, mais quelques années plus tard il allait décupler son sex-appeal en se faisant couper les cheveux.
Dave Grohl était ce genre de mec dont la carte de visite en impose et ne pardonne aucun faux-pas. Le genre de mec qu’on attend au tournant et qui derrière ne vous déçoit pas. Batteur de Nirvana n’était pas une mince affaire pour refaire sa vie, et je trouvais quelques évènements de la sienne si beaux qu’ils provoquaient chez moi la naissance des sentiments les plus extravagants. Des années plus tard, je me rendis compte qu’il portait à cette époque un perfecto. J’en porte un aujourd’hui, quinze ans après, mais plus lui. Ses cheveux ont été coupés, recoupés, lavés, relavés, mais moi je n’ai pas évolué.
Les hommes de la vie d’une femme se suivent et se ressemblent tous, parfois sans qu’elle sache vraiment pourquoi. Je serais avec les miens horriblement exigeante pour leur reprocher de ne pas être lui. Les femmes sont des bourreaux qu’il faudrait juste ne jamais pardonner.
Matin gris de décembre, température polaire. La neige tombait à Paris sur les Champs- Élysées. Un nouveau single venait de sortir, je crois.
All my life.
Sur la pochette mon cœur qui saigne, Anton Corbijn plus Raymond Pettibon. Refuser de trop écouter un disque de peur qu’il ne s’use, de peur qu’il n’en reste plus rien. Mais le remettre quand même quitte à en racheter un autre après. Aujourd’hui, je décidais de prendre ma vie en main. Première étape, devenir journaliste. J’avais essayé de jouer de la guitare, j’avais essayé de jouer de la batterie, mais je n’avais jamais réussi.
N’était-ce pas comme cela que l’on procédait ?
© 2008, Autour du livre.
2 reviews for Dave Grohl est l’homme de ma vie
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Anonyme (fnac.com)
J’ai trouvé ce livre très original, il apporte une note très personnelle sur l’amour d’une fan (l’auteur) envers son idole, et à ce point là, il fallait oser. J’ai adoré son franc parler, son coté espiègle prêt à tout et lui souhaite bonne chance dans sa quête…
Anonyme (fnac.com)
Ce court texte, remarquablement écrit, est une véritable fulgurance. Sans tabou et loin des clichés habituels sur les fans, l’auteur restitue à merveille l’ambivalence des sentiments et fantasmes qu’une fan peut avoir à l’adolescence, en pleine construction de son identité, de sa sexualité, de ses rêves, à l’âge où tout semble encore possible. De la belle littérature sur un sujet (les fans) souvent maltraité et mal traité.