Une heure. Ou deux. Ou trois. Ça représente quoi ? Cinquante à cent cinquante pages d’un bouquin imprimé serré ? Bien serré ? Aussi. Mais encore…
À l’heure de ces lignes, tu sais précisément quel a été l’effet de l’herbe sur toi. Tu sais que tu as voyagé dans le temps. Un voyage de quelques heures qui, en vérité, a duré des années. Le principe même d’un voyage dans le temps. Comme si, avec ce joint, tu étais sorti de la boucle temporelle dans laquelle tu t’es perdu le jour où tu as entendu parler de Morrissey pour la première fois. Reste à savoir à quand remonte ce jour. Et qui t’en a parlé.
Qu’on se rassure ! Tu ne vas pas te mettre à soliloquer sur les trous noirs et la physique quantique. Tu n’y connais rien. Et tes convictions te portent à croire que le ridicule tue. Tu sais seulement que lors de cette boucle temporelle se sont immiscés tous les instants de ta vie liés à l’œuvre de Morrissey. Un peu comme on voit, paraît-il, repasser toute sa vie au moment de rendre l’âme. Le temps d’un concert et d’un match de coupe du monde, ces instants ont défilé devant tes yeux.
Tu sais aussi que bien souvent, c’est grâce aux paroles d’une chanson que tu t’es tiré de certains mauvais pas. Certes, tu ne t’es jamais retrouvé suspendu dans le vide à une corde sur le point de céder. Et en admettant que cela te soit arrivé, ce n’est pas en te souvenant des paroles d’Hanging On The Telephone des Nerves que tu t’en serais sorti. D’autant que tu préfères la reprise de Blondie. Mais pour surmonter une rupture douloureuse, se tirer d’une conversation mal engagée, les chansons sont d’imparables antisèches. Oui, aussi commun que cela puisse paraître, les chansons ne sont pas des bouteilles à la mer mais des bouées de sauvetage, des ambulances, des vitres à briser en cas d’urgence.
S’il ne t’est donc jamais rien arrivé de plus périlleux que de glisser sur une plaque de verglas, tu peux toutefois affirmer que certaines chansons t’ont sauvé la vie. Tu n’es pas le seul ! Tu le sais. Les résultats d’un sondage commandité par la BBC et sur lequel tu es un jour tombé te l’ont confirmé. Non pas que tu aies besoin de conclusions statistiques pour le croire ! Mais tu es comme tous les Français. Tu aimes bien les sondages.
The song that saved your life, interrogeait celui-ci. « Quelle chanson vous a sauvé la vie ? » Bingo ! Être touché, ému, transporté, consolé par une chanson, il n’y a rien de mieux pour se sentir fier de passer pour un imbécile heureux. Ni la raison ni l’orgueil n’ont à voir avec le plaisir que l’on peut prendre à écouter, ré-écouter, jusqu’à l’abîmer, une chanson.
D’où la présence, dans ce sondage, de quelques évidences. Glory Box de Portishead, Everybody Hurts de REM. Et de choses plus incompréhensibles. I Believe In A Thing Called Love du groupe Darkness par exemple. Du hard rock d’un autre temps, inavouable période où les écussons de Status Quo fleurissaient sur les vestes en jean comme les boutons d’acné sur les visages des lecteurs de Tolkien.
En tête du classement, une autre évidence. Une de ces chansons à géométrie variable. Une chanson capable de tout ! De vous expédier au fin fond du désespoir à grands coups de pied dans le cœur. De vous en sortir presque de la même manière, gonflant votre palpitant d’un souffle de joie inespéré. Résultat aussi pro-bant que le Good Day Sunshine des Beatles un lendemain de beuverie. Elle figure au classement d’ailleurs. Pas étonnant ! Le plus brillant des ingénieurs en cosmétologie ne trouvera jamais la formule d’un gel tonifiant plus efficace qu’une chanson pop bien troussée.
En tête de liste, I Know It’s Over, des Smiths. Nous y voilà ! Une mélodie indomptable. Une mélodie qui rend indistincts le jour et la nuit. Des paroles si intimes, si indécentes, qu’elles traduisent les tourments de milliers d’âmes en proie au calvaire de la solitude et dont tu fis partie. Et cette voix, bon dieu… Cette voix ! Cette émotion que charrient les cordes vocales de Morrissey.
Tu emporterais cette chanson sur une île déserte sans hésiter. Comme tous ces gens qui ont voté pour elle le feraient. Tu tenterais bien de tricher pour y emporter d’autres merveilles. Une compilation de tous tes titres cultes. Et des pieds de Sémillon, de Sauvignon et de Muscadelle, pour assembler un Monbazillac que tu baptiserais sottement Robinson.
Évidemment, de même que celui qui trouverait la lampe merveilleuse d’Aladin se plierait aux règles de son bon génie, tu finirais par te plier à la règle ascéti-que de l’île déserte. I Know It’s Over, un baladeur, une batterie solaire. Et tu conspues tous les possesseurs de baladeurs MP3 160 Go qui, à force de trimballer toute leur discothèque à portée de main, ont perdu toute forme d’abnégation. Pourquoi ? Si tu le savais, tu n’écrirais pas ces pages. Tu n’irais pas plus loin. Tu les tiendrais ! Le lieu, l’arme et l’auteur du culte. Et tu te sentirais bien. Comme tu te sentirais bien.
© 2010, Autour du livre.
8 reviews for Toi, moi & Morrissey
4.5
/5Based on 8 rating(s)
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LesMontsParisiens
Un livre carré à peine plus grand qu’un CD. Format agréable pour plonger au cœur de cette découverte entre l’auteur et celui qui rayonne dans mes souvenirs, Morrissey. Séduite par un sujet essentiel, la place de la musique dans notre existence. Roman plaisant, Arnaud Huber à touché un point sensible.
Champenoispy
Fan absolu du « Moz », le titre énigmatique de ce livre m’a forcément vivement attiré. Arnaud Huber nous propose de suivre, à travers le concert donné aux Eurockéennes de 2006 par Morrissey, comment il est tombé « amoureux » de l’univers du chanteur des Smiths. Cette plongée dans le plus profond de l’âme du narrateur se révèle passionnante grâce à l’habileté de l’auteur pour mêler ses atermoiements personnels avec les chansons de Morrissey. Si l’écriture est simple, elle n’en est pas moins efficace et s’avère particulièrement touchante. Le lecteur se situe alors au croisement du psychisme d’un jeune homme lambda et de celui de Morrissey, du moins tel que pense le percevoir le narrateur. Certes, quelques rares passages viennent ralentir l’histoire et font baisser l’intensité, mais ils ne gâchent nullement la qualité globale de l’ouvrage. De plus, si le livre est intéressant à lire pour tout fan de Morrissey, il ne se limite pas à une vague histoire avec en toile de fond les chansons de ce dernier. En effet, le roman d’Arnaud Huber parvient en parallèle de l’intrigue à montrer l’importance que peut jouer la musique en imprimant à jamais des « séquences mémorielles » dans nos souvenirs. Ainsi, tout le monde se souvient d’une chanson entendue le jour d’un événement qui l’a marqué ou qui l’a touché. Le point de vue qu’utilise l’auteur dans ce roman rend idéalement compte de ce phénomène psychologique ; ce qui est notable pour ce qui se présente comme un simple roman. En conclusion, un bon ouvrage à recommander à tout amateur de musique, et surtout aux aficionados du « Moz » !
almalilas
Lu d’une traite un soir de grosse insomnie … J’ai passé un très agréable moment et je l’ai recommandé !!!
Phil Donny
C’est un bon livre, passionnant et fort bien écrit. Arnaud y montre un vrai talent d’écrivain, une originalité stylistique, le sens de l’aphorisme ainsi que celui du rythme… grâce à Morrissey certainement. Bien que connaissant assez peu l’œuvre du musicien (méconnaissance que je vais combler), j’ai été porté par le récit romanesque de cette errance et éducation amoureuse au milieu des années 80 qui porte néanmoins l’universalité de toutes les aventures de nous autres pauvres hommes, face à l’énigme féminine. Je me suis reconnu à plusieurs reprises, pris en défaut par les codes féminins et totalement désarmé comme l’est l’auteur. C’est bien vu, subtil et c’est une oeuvre littéraire recevable par tous lecteurs. Le pari est réussi et je conclurai en citant cette considération pertinente de la page 13 « Le progrès, c’est la Méduse des temps modernes. Il pétrifie sur place ceux qui tentent de lui survivre.
Mozfan
Un livre touchant et drôle qui ne s’adresse pas uniquement aux fans de Morrissey mais surtout à tous ceux pour qui la musique est la « bande son » de leur vie. Fortement conseillé !!
Cecile
On a tous des artistes ou des morceaux qui nous suivent toute notre vie. J’aime ce « ping pong » temporel quand tous ces souvenirs nous reviennent, qui dit vraiment le vagabondage de l’esprit quand on entend certains morceaux. J’aime aussi l’objet : son format, la couverture, le papier. C’est un objet intime. Il est juste un peu… court comme quand le temps d’un concert passe trop vite alors qu’on a été emporté si loin de soi, et que l’on revient « dans la vraie vie ».
SuperMoz
Voici un livre qui ne s’adresse pas seulement aux fans des Smiths ou de Morrissey mais tout simplement à tous ceux pour qui la musique a une place importante dans la vie de tous les jours. Brillant, drôle, émouvant… comme une chanson des Smiths.
Tipi
On est loin de la fanitude dans ce livre. Le décor est un concert de Morrissey où éclatent toutes les émotions que peut engendrer un concert où on prend un réel plaisir. Il faut juste aimer la musique et les belles histoires bien écrites pour apprécier ce texte qui m’a personnellement beaucoup touché.