Meeting People Is Easy – les cinéastes « rockumentaristes »
L’émergence des rockumentaires coïncide avec l’explosion médiatique du rock dans la seconde moitié des années 1960. Cantonné au cinéma dans les films d’Elvis Presley et d’une série de productions hollywoodiennes au caractère insouciant, le rock était jusqu’alors principalement employé comme un simple accessoire scénaristique. À l’inverse, les rockumentaires font office de documents pionniers dans le portrait d’artistes et de description du rock en tant que mouvement musical. Ils peuvent aussi, à l’occasion, remplir la fonction d’études sociologiques : les premiers films de D.A. Pennebaker, de Peter Lorrimer Whitehead ou de Murray Lerner, qui suivent les pérégrinations des idoles des baby-boomers, établissent un pont entre le public et des musiciens en passe de devenir les icônes culturelles de la jeunesse d’après-guerre.
Né le 15 juillet 1925 à Evanston (Illinois), Donn Allan Pennebaker est le parrain du rockumentaire. Inspiré par les cinéastes de la nouvelle vague, D.A. Pennebaker privilégie l’approche cinéma-vérité en filmant les faits sans aucun artifice, souvent dénués de tout point de vue extérieur (absence de fil narratif, de voix-off et d’interviews). Pennebaker vit de l’intérieur les plus grands bouleversements de la musique populaire au cours des années 1960. Témoin de la tournée 1965 de Bob Dylan dans DON’T LOOK BACK, réalisateur officiel du festival de Monterey en 1967 (MONTEREY POP), du premier grand revival rock de Toronto en 1971 (SWEET TORONTO/KEEP ON ROCKIN’) et du phénomène David Bowie/Ziggy Stardust (ZIGGY STARDUST AND THE SPIDERS FROM MARS en 1972), D.A. Pennebaker exerce une influence majeure sur les réalisateurs chargés de la transmission du rock à l’écran.
Dès 1965, le Britannique Peter Lorrimer Whitehead (né à Liverpool le 8 janvier 1937) se spécialise dans la captation d’événements artistiques avec WHOLLY COMMUNION, un premier film sur un festival de poésie organisé par le poète beat Allen Ginsberg. Puis il réalise en 1966 CHARLIE IS MY DARLING, compte-rendu de la tournée irlandaise des Rolling Stones. Fasciné par l’impact du rock et de la pop music sur la jeunesse anglaise, Peter Whitehead parvient, en filmant les Pink Floyd et l’explosion psychédélique des années 1966-67 dans TONIGHT LET’S ALL MAKE LOVE IN LONDON, à capturer le décalage entre les ambitions de la contre-culture et une société anglaise patriarcale encore traumatisée par les rudes années de l’après-guerre.
Dans le même élan, les reportages de Murray Lerner sur le festival folk de Newport et le rassemblement de l’île de Wight en 1970 cernent l’émergence d’une jeunesse contestataire, tout en évoquant les limites du divertissement de masse. Tourné sans effets et n’hésitant pas à montrer l’envers du décor peu reluisant d’une grand messe rock (spectateurs violents, managers roublards…), MESSAGE TO LOVE : THE ISLE OF WIGHT FESTIVAL incarne l’anti- WOODSTOCK dans toute sa lucidité post-hippie.
Né le 26 novembre 1953 à Londres, Julien Temple relie quant à lui les documentaristes aux cinéastes par le biais d’une œuvre partagée entre longs-métrages de fiction et portraits de musiciens rock. L’auteur de LA GRANDE ESCROQUERIE DU ROCK’N’ROLL (1980) et d’ABSOLUTE BEGINNERS (1985) filme l’explosion du punk anglais en 1976 avant de devenir clippeur pour David Bowie, les Stray Cats et les Rolling Stones. Grand collectionneur d’images d’archives, Julien Temple parsème ses documentaires de flashes d’infos, d’extraits d’émissions de variété et de publicités d’époque. Ses films sont d’étonnants patchworks visuels dont le propos est renforcé par son expertise musicale d’insider de la scène musicale britannique depuis la seconde moitié des années 1970. Une analyse du phénomène trans-générationnel du festival de Glastonbury (GLASTONBURY, 2006) et un documentaire dédié à Joe Strummer (JOE STRUMMER : THE FUTURE IS UNWRITTEN en 2007) sont à compter parmi ses réussites récentes.
Si Julien Temple démarre sa carrière de réalisateur par plusieurs documentaires avant d’enchaîner des réalisations pour le grand écran, d’autres cinéastes effectuent le parcours inverse. Jonathan Demme (STOP MAKING SENSE en 1984, HEART OF GOLD en 2006), Jim Jarmusch (YEAR OF THE HORSE, 1997) et surtout Martin Scorsese (THE LAST WALTZ en 1978, NO DIRECTION HOME en 2006 et SHINE A LIGHT en 2008) agrémentent ainsi leurs filmographies de rockumentaires dédiés à des musiciens avec qui ils possèdent des affinités (Neil Young et les Rolling Stones ont, par exemple, illustré des films de Jarmusch et de Scorsese).
Certains artistes comme les photographes Robert Frank (COCKSUCKER BLUES, 1972) et Bob Gruen (ALL DOLLED UP, 2004) ou le plasticien Andy Warhol (THE VELVET UNDERGROUND AND NICO en 1966) ont aussi abordé, avec des fortunes diverses, le rock par l’approche documentaire. Une catégorie plus rare de musiciens/documentaristes inclut enfin des artistes passés derrière la caméra pour filmer leur propre œuvre. Bien souvent, cette volonté émane de control freaks (obsédés du contrôle) dont la mégalomanie s’étend jusqu’à la pellicule. Cette division plus restreinte inclut entre autres Neil Young (JOURNEY THROUGH THE PAST, RUST NEVER SLEEPS, GREENDALE, réalisés sous le pseudonyme de Bernard Shakey), Frank Zappa (BABY SNAKES, 1979) et Prince (SIGN OF THE TIMES, en 1987).
© 2010, Autour du livre.
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