Introduction
Panthéon discographique
Qu’est-ce qu’un panthéon discographique ? La notion est si subjective. Plein de morgue et de suffisance celui qui peut vous assurer posséder dans son salon le nec plus ultra de la production musicale. Tous les goûts étant dans la nature, on est forcément toujours le ringard musical d’un autre. Il faut les voir, tous ces fous sympathiques, ces obsessionnels du vinyle et du laser. Ces spécimens ne nous semblent-ils pas parfois dignes de passer un petit séjour dans l’établissement psychiatrique le plus proche ? Non seulement vous les invitez chez vous mais en plus ils se foutent ouvertement de votre bobine. Au lieu de visiter la cuisine, le balcon, le formidable dressing (si pratique) et la chambre tout juste repeinte du petit dernier, ils tombent en extase devant les quelques étagères Billy d’Ikea qui vous servent de discothèque. Comme statufiés. À deux doigts d’attraper un torticolis, tant chaque CD est scruté, analysé. Froncement de sourcils, moue écœurée, petit sourire de connaisseur, hochement de tête, voire sifflement d’admiration. Ils passent par tous les états et vous font passer un examen dont, généralement, vous ne sortez pas vainqueur. Les obsédés du 45 tours, du 33 tours, de la petite galette qui leur a succédé, du MP3 se comportent comme des chasseurs en quête d’une nouvelle proie avec qui échanger, discuter, s’engueuler. Les Stones en best of, est-ce de la provocation ? Pourquoi manque-t-il tel album de Led Zep ? Est-ce indispensable de faire cohabiter sur la même planche de bois T. Rex et TC Matic ? D’ailleurs, à ce sujet, quel est le meilleur rangement possible ? Nick Hornby a déjà traité la question dans son incontournable High Fidelity, n’y revenons pas. On a tous connu des gens de la sorte : des amis, des amis d’amis, des frères de copines, des sœurs de copains, peu importe. Pour eux (ou elles), la musique est fondamentale. Plus qu’un passe-temps, c’est un mode de vie. Je n’ai jamais osé leur poser cette question de peur de me faire rembarrer, voire plus : dans leur discothèque parfaite, les trois groupes suivants, Bijou, Dogs et Starshooter, auraient-ils leur place ? J’ai toujours eu la crainte qu’ils ne me fassent répéter, qu’ils prennent l’assistance à partie, ou tout simplement qu’ils s’inquiètent de ma propre santé mentale. Quoi ? Des groupes français, qui n’ont jamais vendu et qui ont existé pour deux d’entre eux à peine six années. Es-tu bien sérieux ?
Nous voilà bien partis avec un tel « trio gagnant ». Des groupes si peu « bankable », comme on dit aujourd’hui dans les salles de rédaction et les maisons de disques. S’agit-il d’une blague, d’une posture un peu snobinarde ou tout simplement d’un effet de style pour tester ton auditoire ? Y a-t-il franchement quelque chose à espérer d’une telle trilogie ?
Oui. Définitivement oui. D’abord parce que ces groupes ont produit une musique épatante, pour qui la trouve à son goût, certes, mais surtout parce qu’ils sont fortement emblématiques de ce qu’a été le rock en France à une certaine époque, que l’on pourrait situer entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Car ces trois groupes détiennent dans leur patrimoine génétique et dans leur expérience tout ce qui explique l’insuccès quasi récurrent du rock d’ici, comme le titrait joliment le mensuel Best il y a environ trente ans. Bijou, les banlieusards rétro. Dogs, les dandys rouennais qui s’expriment en anglais. Et Starshooter, le gang lyonnais passé en un temps record du punk à une variété rock oscillant entre pochade et désenchantement. Six années, pour être précis, de 1977 à 1983, qui ont vu l’éclosion et la réussite de tant de groupes. Six années qui ont marqué une période jugée faste pour la musique en France, et ailleurs aussi. 1977, l’année de tous les ras-le-bol. Marre du rock progressif, des morceaux qui dépassent allègrement les vingt minutes, des cheveux longs, des idées molles. Entre deux chocs pétroliers, c’est l’année de l’énergie, de l’électricité, la révolte, la rage au bord des lèvres. L’envie de tout casser, de changer le cours des choses. « On voulait faire la révolution », dit Kent, l’ex-leader de Starshooter, celui-là même qui écrit aujourd’hui pour Calogero ou Nolwenn Leroy ! Allez comprendre !?
Les pages qui suivent se proposent de vous raconter trois histoires différentes. Et pourtant si semblables. Trois destins, trois trajectoires. Symptomatiques d’une époque foisonnante, riche, bordélique, paradoxale, stimulante, en un mot comme en cent : bandante. Celle où quelques groupes sans prétention ont failli toucher au but. Ont manqué le grand public de pas grand-chose. Une période où les mots « challenger » et « outsider » avaient tout leur sens. Faire du rock au pays de Brel, Brassens et Ferré aurait pu marcher. Oui, il s’en est fallu d’un rien pour que la France, ce « pays si petit avec des routes trop longues » pour reprendre les mots de Starshooter, ne devienne définitivement une nation rock. La matière première était là, comme de la terre glaise. L’enfournement n’a pas été une réussite. La cuisson n’a pas pris, les groupes n’ont pas trouvé leur public. Comme un rejet de greffe. Regrets éternels. Les occasions ne se présentent pas si souvent. Il faut le reconnaître, la lecture mathématique et froide des résultats ne laisse place à aucun doute : il y a bel et bien eu échec. Mais, au-delà du constat implacable, se cache une autre réalité, celle d’un âge d’or qui ne portait pas son nom. Celle d’une liberté créative assez rare, d’une production quasi stakhanoviste qui, de nos jours, laisse songeur. Dogs, Starshooter et Bijou n’entreront jamais dans les encyclopédies au chapitre des meilleures ventes ni au Panthéon de nos musiciens. Et après ? Faut-il pour autant oublier ce que ces trois groupes ont apporté ? Non, bien entendu. Une lecture moins froide des faits, une analyse subjective se plaçant au-dessus de l’arithmétique, un regard lucide mais empathique ont le droit, si ce n’est le devoir, d’exister. La plupart des protagonistes sont encore en vie. Certes, ils ont changé, vieilli, se sont calmés, sont rentrés dans le rang (pas tous d’ailleurs, vous le constaterez). La camomille et la verveine ont pu remplacer le bourbon et la bière. Les guitares ont été débranchées et le propos adouci. Ils sont ventrus, grisonnants, dégarnis, abîmés peut-être mais toujours présents. Avec une envie folle de revenir sur les faits, d’expliquer cette époque, de reparler de ces moments. Pas un n’a décliné notre invitation. Personne ne s’est retranché derrière le temps qui passe. Aucun n’a refusé de s’expliquer. Et tous les entretiens se sont terminés de la même manière : par un sourire nostalgique. Jamais d’aigreur, aucun ressentiment, peu de regrets. Les musiciens, journalistes, professionnels de la profession (si chers à Jean-Luc Godard) de ces années-là se sont montrés disponibles et conciliants. Diserts surtout. Ils nous racontent une histoire joyeuse, foutraque, inaboutie certes. Ils nous racontent leur jeunesse, la vôtre peut-être, la mienne assurément. Le rock en France a eu une jolie période et ces trois groupes en sont les meilleurs exemples. À vous de découvrir maintenant leur destin peu banal. C’est haletant et rafraîchissant. Comme le rock.
© 2010, Autour du livre.
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7 reviews for Rock Français (1977-83)
4.86
/5Based on 7 rating(s)
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127JB
intéressant et rythmé. Une excellente idée que ce petit bouquin. Il remet en lumière trois groupes qui ont compté dans l’histoire de la musique en France. La trajectoire de trois outsiders qui ont touché la consécration du bout des doigts. Une sympathique plongée dans une période assez libre et foutraque au bout du compte. Rafraîchissant.
Joadan (amazon.fr)
Plume pour dingues
Ce livre sur un sujet aussi pointu est, si j’ose dire, un petit bijou… En fait, il ne lui manque, à mes yeux, qu’un peu plus d’anecdotes sur Triangle, un autre groupe de rock français, dont j’avais “osé” acheter un vinyle dans les années 70, mais qui s’était peut-être déjà dispersé pendant la période 1977-1983 qu’ausculte Laurent Jaoui. La rigoureuse minutie et la belle plume de l’auteur, qu’apprécie-ront les “dingues” de rock (pas seulement français), me font irrésistiblement penser à un avis exprimé il y a des années par un certain Roger Thérond, qui fut le patron charismatique de Paris-Match: selon lui, les journalistes sportifs, souvent raillés par le public, qui ne voit en eux que des “beaufs” incapables de bien écrire, étaient les plus complets de cette profession. A choisir, Thérond préférait confier la couverture d’un meeting politique ou d’un spectacle à un journaliste sportif que celle d’un match de foot à un journaliste politique ou un spécialiste du show biz. Et Jaoui, connu comme commentateur de foot à la radio, nous confirme la justesse de cette réflexion!
CREWKOOS
Une collection qui en a ! La preuve ? ce livre passionnant !
La France et le rock…vaste sujet que celui là… comment se fait-il que ce petit pays qui est le notre, féru de culture et qui, en son temps, il faut certes remonter aux lumières pour ce faire, rayonna sur le monde, ait offert un si piètre accueil à cette musique par ailleurs si populaire et répandue ?
C’est a cette question que s’attache à répondre ce passionnant petit bouquin au travers de l’histoire croisée de 3 groupes brillants mais qui ne réussiront pourtant jamais à dépasser le statut d’outsiders prometteurs, jusqu’à ce qu’ils jettent, pour au moins 2 d’entre eux, l éponge minés par le manque de reconnaissance et de succès, et les affres qui s’ensuivent forcément en pareil cas. Bijou, Starshooter et les Dogs, ce sont par le biais de leurs tristes destins que Laurent Jaoui, par ailleurs brillant journaliste sportif, tente de comprendre ce rendez vous manqué entre l’une des musiques les plus importante du 20ème siècle et la culture hexagonale. En moins de 6 ans, ils auront tout connu et tout tenté, chantant en français ou en anglais, tentant l’aventure hors des frontières de notre petit pays, évoluant d’un rock sans concession à un univers plus proche de la sacro sainte chanson française, c est avec le témoignage de tous les acteurs impliqués de près ou de loin dans l’aventure que l’auteur cherche à expliquer ce mystère.
Manque de bol ? Amateurisme ? Dilettantisme ? Nombrilisme hexagonal ? Non, rien de tout cela, pendant ces 6 années chacun des 3 groupes a, à sa façon, tout fait pour se rapprocher au plus près du soleil du succès. Alors est-ce par défiance à l’égard de cette culture importée par le grand frère américain, est-ce la pesante ombre de l’intouchable chanson française sacralisée par les intellectuels, incontournables en France, est-ce le syndrome Poulidor qui peut expliquer ce loupé ? Un peu de tout cela sans doute. Sans jamais répondre catégoriquement, Jaoui donne des pistes, ouvre de portes, non sans rendre un hommage ému et sincère à ces fantassins passionnés et passionnants de la grande croisade en terre française de la musique binaire.
Voila donc un bouquin enthousiasmant, hébergé par une collection qui n’en manque pas (de ce que vous pensez, gros dégoûtants, mais surtout de bouquins intelligents) qui se lit comme la biographie croisée de 3 groupes malheureusement souvent sous-estimés, mais aussi comme une réflexion construite et argumentée brillamment sur l’histoire d’amour bancale et décevante entre un pays qui ne manque pourtant pas de public et d’artistes et un musique prompte à a appeler à la révolte, voire à la révolution….Où sont tes armes citoyens ? Où sont formés tes bataillons ? L’étendard (du rock français) sanglant (oh que oui) est-il encore levé ? Vu ce que l’on entend dans les campagnes (et pas que les présidentielles), on est en droit d’en douter.
Adrian (amazon.fr)
Magnifique !
Fan de rock mais connaissant plutôt mal le rock français de cette période (“le rock français , c’est comme le vin anglais” selon Lennon, cité par l’auteur), j’avoue avoir éprouvé quelque retenue (voire scepticisme ) avant de me plonger dans la lecture de ce livre. Sitôt reçu, je n’ai pas boudé mon plaisir et dévoré cet ouvrage en deux jours. Quelle réussite ! L’auteur nous plonge littéralement dans la France giscardienne de la fin des années 70; époque où , avouons-le, il ne se passait pas grand-chose de frais et de nouveau côté musical quelques temps auparavant (“Rappelle-toi minette”, mega-succès de Patrick Juvet en 73…ca vous pose le terreau de l’époque) .
Avec ce livre, on assiste, de manière précise, documentée (l’auteur, précisons-le, a rencontré tous les acteurs de l’époque), drôle souvent, émouvante parfois, à la naissance d’une génération d’artistes qui a donné ses lettres de noblesse au rock français; n’en déplaise à Lennon.Et puis, quel style, quelle verve, on sent la patte d’un auteur passionné,habité dirais-je, par son sujet. Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce livre !
Volute (amazon.fr)
C’est de la bombe !
C’est un bijou, hommage rendu à nos chers groupes de rock français des années 80. Hommage qu’on attendait depuis longtemps pour ces 3 groupes mythiques et pas assez reconnus jusqu’à aujourd’hui !
D.H.I. (amazon.fr)
Des groupes qui ont joué partout, qui savaient tenir une scène sans complexe.
Ce livre est très bien, à consommer sans modération. Surtout qu’il parle d’un temps d’avant la nouvelle chanson française. Dernièrement ça devient du grand n’importe quoi ! Maintenant pour être chanteur c’est nul, il suffit de faire des reprises et de passer à la starAc ou la nouvelle Star. Je me souviens d’un vrai concert de Kent au Troupeau, une minuscule salle parisienne!!! Somptueux! Les groupes dont parle ce livre, ils ont joué partout, ils savaient tenir une scène sans complexe.
H. Benjamin (amazon.fr)
Ce livre réussit exactement là où j’attendais qu’il échoue. Il m’a complétement bluffé.
Vous connaissez ce sentiment : Il y a toujours, lorsque l’on s’apprête à voir un film mettant en image un livre avec lequel on a eu une relation presque passionnelle, une grande appréhension. Le résultat sera-t-il à la hauteur de nos attentes ? Ne salira-t-il pas à jamais notre version idéalisée de l’œuvre? Le produit dérivé, pour peu qu’il ne soit pas de mauvaise qualité, a de bonnes chances d’être apprécié par le grand public qui ne connait que peu l’œuvre originale, mais sera sans aucun doute inlassablement décrié par les fans les plus enthousiastes. Ceux-ci se sentent trahis par l’adaptation, attaqués dans leur intimité la plus profonde. C’est un sentiment similaire qui nous habite lorsque, pour peu que l’on ait un peu de bouteille et que l’on ait traversé des évènements de notre histoire contemporaine, on se prépare à en lire le récit traduit par une tierce personne essayant d’en analyser les tenants et aboutissants. L’auteur, ayant forcement une perspective différente de la nôtre, va-t-il trahir la manière dont nous avons vécu les évènements en question ? Pour peu que ces évènements soient ressenti comme fondamentaux, et qu’ils nous touchent au plus profond, notre appréhension, notre méfiance initiale à l’encontre d’un ouvrage sur le sujet n’en sera que plus éminente.
Je ne fais pas exception. Mon appréhension a la lecture de “Rock Français (1977-83) – Chronique d’un rendez-vous manqué”, de Laurent Jaoui, était énorme. Le Rock français de ces années-là, en effet, je l’ai vécu. Il a bercé mon enfance. Il a instruit mes passions. Il a participé à la construction de mon identité, dans ma petite banlieue pavillonnaire, qui résonnait de ses échos à la fois contestataires et éloquents. Bijou, Starshooter, les Dogs, je les connais sur le bout des doigts. Gare à celui ou celle qui touchera à mes icones. A ces souvenirs majeurs qui me guident et qui m’épient, comme dirait Kent.
Dès le livre de Laurent Jaoui reçu à la maison (acheté en ligne…), je l’ai dévoré en moins de deux jours, pressé que j’en étais d’être déçu. Certain que j’en étais de tomber raide, victime de la trahison d’un auteur qui ne pouvait forcement pas être à la hauteur de mes souvenirs, de mes attentes. Ne pouvant surement pas (comment cela serait-il même possible ?) retrouver l’odeur, la lumière, la couleur de cette époque si particulière où je chérissais ma Motobecane orange garée sous la véranda des parents, et où j’écoutais Starshooter, Bijou, les Dogs et autres Blessed Virgins en boucle sur ma platine?
Quelle erreur de ma part !! Ce livre réussi exactement là où j’attendais qu’il échoue. Il m’a complétement bluffé. Pour deux raisons.
D’abord, on sent dans ce livre que l’auteur est un journaliste professionnel. Le quatrième de couverture et l’intro nous préviennent : Il s’agit-là d’un journaliste de sport qui s’aventure dans le domaine de la musique et du Rock. Mais cette précision est superflue car on sent bien la minutie des enquêtes et des interviews donnant la matière au bouquin. C’est un véritable plaisir que de lire les propos des acteurs de l’époque. On les imagine, trente ans de plus qu’en 1980, recevant un coup de fil d’un fou voulant écrire leur histoire. On imagine le sourire silencieux et incrédule, à l’autre bout de la ligne, de ces héros d’un autre temps. Ils savaient qu’ils inventaient quelque chose de nouveau à l’époque. Car le Rock français de ces années-là, et Laurent Jaoui le démontre bien, n’était pas qu’une pâle imitation du Rock anglais ou américain. C’était un son et une attitude unique, ancrée dans ces mêmes banlieues pavillonnaires des années 7O, de Lyon, de Nantes, du Havre, de Paris, d’où je suis issu. L’énergique révolte (plus tard commercialisée) de Starshooter; l’esthétisme des Dogs, véritables aristocrates du Rock français (chanté en anglais, pour l’épure et le style); l’inventivité virtuose de Bijou, fleuretant entre la plastique mod et le rock dur (le tout s’évaporant plus tard dans des excès de rockabilly et d’alcool mal contrôlés): Laurent Jaoui réussi à décrire tout cela de manière minutieuse, en véritable Albert Londres du Rock français de ces années-là.
Mais la deuxième raison, pour laquelle l’auteur m’a bluffé, c’est que l’on sent qu’au fond, c’est un véritable passionné. Non seulement il délivre une très bonne analyse des raisons du fameux « rendez-vous manqué » de ces groupes avec le succès commercial (des ventes plafonnant à 30.000 maxi contre 200.000 ou plus de disques vendus par albums pour un Téléphone ou un Trust de l’époque – ces deux groupes faisant figures d’exceptions à la règle). Mais il arrive à décrire les motivations internes à ces groupes, leur volonté de créer quelque chose d’unique, la complexité des thèmes qu’ils abordent, l’élévation de leur attitude au rang de véritable éthique. Il arrive surtout à retranscrire l’air du temps de la fin des années 70, début 80.
Par ailleurs, et ce n’est pas la moindre des choses, le vivre est bien écrit. Comme je le disais, je l’ai lu très rapidement. C’est parce qu’il est d’une lecture très fluide. C’est un vrai plaisir que de lire ces anciens combattants du Rock français. Et tous ceux qui tournaient autour également, ces découvreurs de talents, comme Jacky, qui semble si sympathique et modeste. On découvre aussi le propos de certains commentateurs « spécialisés » qui semblent parfois assez imbus de leur personne. Mais cela fait partie de la réalité de ce milieu. En journaliste objectif, l’auteur retranscrit les bons et les mauvais commentaires sur tel ou tel groupe, sur tel ou tel chanteur, par tel ou tel commentateur. Le tout est ponctué d’anecdotes surprenantes sur les habitudes des groupes en question (le manoir familial des Dogs est excellemment bien retranscrit, ainsi que l’énergie pure des concerts de Starshooter, ou la minutie des heures passées à l’enregistrement des meilleurs titres de Bijou). Je retiens particulièrement que l’on doit le « come-back » de Serge Gainsbourg à Bijou. C’est avec émotion que j’ai recherché puis trouvé sur YouTube la fameuse vidéo ou Gainsbourg reviens sur scène après 15 ans de silence, en duo avec Palmer (la vidéo est mauvaise mais l’émotion de voir Gainsbourg et Bijou ensemble n’en est que plus intense).
J’avais peur d’être trahi par un auteur quelconque s’immisçant dans mes souvenirs intimes pour les ravager de sa connaissance académique du Rock français des années 70-80. Je me retrouve assommé par un livre très bien écrit, et sublimant les sentiments qui m’assaillent lorsque que je repense à cette nouvelle vague à la super dégaine spéciale, électricité en pagaille, sans paradis artificiels, sans illusions superficielles, sans mémoire.