Hugues Barrière

Hugues Barrière

Auteur, traducteur, éditeur

Hugues Barrière fonde en 2004 les éditions Autour du livre et crée ses quatre collections pour couvrir l‘histoire du rock sous des angles complémentaires. Ancien chroniqueur au magazine Crossroads puis à Rolling Stone, il est l’auteur de nombreux articles sur Bruce Springsteen ainsi que le co-auteur de deux ouvrages sur le chanteur, dont Bruce Frederick Springsteen, paru en 2003 (réédition 2009, Le Castor Astral). Il signe également la Story musicale de Bruce Springsteen racontée par Antoine de Caunes (Sony Music, 2009) et participe à la refonte du Dictionnaire du Rock (Larousse, 2005). Fervent amateur de généalogie, il découvre en 2014 un personnage historique surprenant auquel il consacre une biographie en trois tomes, inaugurant la nouvelle collection d’Autour du livre : Histoire & Mémoire.

Interview de Hugues Barrière, éditeur des Cahiers du Rock pour fnac.com (août 2007)

Après les mythiques Cahiers du cinéma et les très cérébraux Cahiers du foot, c’est au rock de recevoir ses lettres de noblesse grâce à une élégante collection abritée aux éditions Autour du livre et joliment intitulée Les Cahiers du rock. Animée depuis 2006 par le rock critic Hugues Barrière, grand fan de Bruce Springsteen auquel il a d’ailleurs consacré un très bon Cahier, Les Cahiers du rock sont une collection stimulante et ouverte, qui propose des textes de qualité érudits et jamais méprisants. À l’heure de la rentrée des classes, présentation des cahiers du diable par Hugues Barrière himself, mélomane omnivore qui, s’il aime le boss, n’est point un tyran.

Pourquoi cette collection ? L’édition française d’ouvrages sur la musique du diable vous semblait-elle lacunaire ?

H.B. : D’une certaine façon, oui, sinon je ne m’y serais jamais lancé. Disons qu’elle me semblait à la fois prolifique et lacunaire. D’un côté, surtout depuis la célébration en grandes pompes des 50 ans du rock en 2004, les parutions ne manquaient pas. Beaucoup d’éditeurs avaient rempli de façon fort judicieuse le vide qui existait jusqu’alors. De l’autre, à côté de quelques titres incontournables et de biographies qui se ressemblaient toutes plus ou moins, j’avais du mal à trouver les analyses que j’avais vraiment envie de lire. J’ai cru un temps qu’Internet permettrait de combler ce besoin « de niche » mais les textes trouvés étaient parcellaires et éparpillés sur la toile. Je me suis dit que je ne devais pas être le seul à avoir envie de lire des livres écrits comme des bios mais contenant de vraies analyses approfondies, qui ne fassent pas 600 pages en tout petits caractères, ne soient pas en anglais ni dans une langue universitaire hermétique. En en parlant autour de moi, j’ai alors trouvé des gens qui avaient envie de les écrire. L’accueil de la presse, des lecteurs et des libraires sur les premiers titres fut encourageant. Donc, on continue sur notre lancée dans la même direction…

Vous avez une approche très sociologique, très savante, du rock comme phénomène social et machine mythologique. Les amateurs de rock qui vous lisent ne sont donc pas tous des neuneus incultes !

H.B. : Si, mais on les aide à progresser, justement, hé hé… Je plaisante, bien sûr. Au Hard Rock Café de Paris, qui accueille avec indulgence et hospitalité quelques-unes de nos sauteries, on nous appelle « les intellos du rock » ! Cela dit, cette notion de « neuneu inculte », qu’on prête un peu trop facilement au rocker (qu’il soit musicien ou simple amateur), est un cliché injuste qui résiste encore on ne sait trop comment. Comme si, abruti par le rythme binaire et répétitif et les paroles débiles des chansons (encore faut-il les comprendre ou savoir les écrire !), il ne s’intéressait pas au monde dans lequel il vit. C’est justement tout le contraire et tout l’intérêt de notre démarche est de l’expliquer (comment ? pourquoi ?). Le rock a aujourd’hui plus de 50 ans, dit-on. C’est dire s’il a eu le temps de pénétrer en profondeur notre société occidentale, d’en épouser voire d’en façonner les modèles sociaux, économiques, comportementaux etc. Le rock fait donc partie de la culture. De notre culture. S’y intéresser n’est pas différent de s’intéresser à la littérature, à la politique, au cinéma (fut-il populaire), à l’Histoire, au sport ou même, à la télévision. Cinquante ans, c’est aussi sans doute le temps qu’il fallait pour qu’on puisse disposer de suffisamment de recul et convoquer aujourd’hui les sociologues, historiens, exégètes et autres observateurs (qui n’en sont pas moins des amateurs de rock en premier lieu) et mener les analyses qui s’imposent.
Cela dit, nous publions des ouvrages qui, tout en étant sérieux et documentés, ne sont ni austères ni hermétiques ni des pavés indigestes, mais racontent une histoire, ce qui, au final, doit être le propre d’un LIVRE. Par exemple, l’histoire de la chanson Born in the U.S.A. (que tout le monde connaît mais que, finalement, peu connaissent vraiment, l’histoire comme la chanson) est digne d’une véritable saga à tiroirs et à multiples rebondissements, comme dans les meilleurs romans. Ce qui ne l’empêche pas par ailleurs d’être fortement emblématique par plusieurs aspects, comme par exemple l’absence d’écoute réelle des textes des chansons rock par le public, un thème qu’il m’a semblé intéressant d’approfondir. Mais il ne faut pas croire non plus qu’on intellectualise à l’excès et en permanence cette musique qui parle au corps autant qu’à l’esprit. Notre lectorat trouvera aussi bien matière à détente et émotion dans nos livres qu’à réflexion et analyse. C’est la raison pour laquelle nous avons publié récemment « L’Abécédaire de rien de ce §#ç&%$ de monde du « rock » », un abécédaire foutraque et décalé écrit de main de maître par le Belgian Doctor, alias Pascal Samain, histoire de montrer que si le rock est un sujet sérieux, il peut aussi être un sacré foutage de gueule qu’il faut savoir prendre à la légère, voire à la hussarde.
Alors, réconcilier dans un même livre l’intello et le rocker, plaire à un vaste public profane sans décevoir le fan qui a déjà tout lu et décortiqué, telle pourrait être l’une de nos devises. Le seul pré-requis, finalement, est juste de s’intéresser un peu au rock.

Est-il difficile de faire exister aujourd’hui dans l’Hexagone une collection de cette nature ?

H.B. : L’accueil qui lui a été réservé jusqu’à présent m’incite à penser le contraire. Nous avons juste besoin de nous faire connaître, et de persévérer. Cela dit, bien que spécialisés, nos livres s’adressent potentiellement à un lectorat qui dépasse le seul public « rock ». On ne me fera pas croire que les lecteurs des « Bienveillantes » (Jonathan Littell) ne sont tous que des fans du nazisme et des spécialistes de la seconde guerre mondiale. Un bon livre reste un bon livre, quel que soit son thème. Maintenant, c’est vrai que la France n’est pas un pays particulièrement rock, comparé, par exemple, à nos proches voisins européens (Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Hollande, Italie…). Depuis qu’elle a raté son virage avec le rock dans les années 1960 en tombant dans cet ersatz dégénéré que fut le yéyé (je sens que je vais me faire des amis), elle semble n’en avoir jamais pleinement, collectivement et officiellement retrouvé la voie, et s’être satisfaite à la place de celui que j’appellerais son alibi rock : Johnny Hallyday (je sens que je vais me faire encore plus d’amis !). Il y a beaucoup de raisons à cela, qu’il serait trop long de lister ici, et qui feront d’ailleurs l’objet d’un passionnant prochain « cahier ». En dehors de la littérature rock (assez abondante il est vrai, bien qu’insignifiante à côté de ce qui se publie outre-Manche ou outre-Atlantique), il n’y a qu’à voir comment se porte la presse rock en France. Hormis un ou deux titres, c’est un chant de ruines dans lequel seuls quelques passionnés bénévoles subsistent ! Mais il existe un vrai public rock en France. Un public de qualité qui, au pays de Descartes, ne boude pas les ouvrages comme les nôtres (ou les rockumentaires en DVD) leur apportant une connaissance et surtout une compréhension de l’histoire et des grandes œuvres du rock (… anglo-saxon !), qui avaient pu leur échapper faute d’une réelle implication des médias, des maisons de disques ou en raison de la barrière de la langue.

À ce jour, on compte six titres à votre catalogue. Avez-vous des projets en studio ?

H.B. : Plein ! Les projets ne manquent pas, l’analyse du monde du rock est un terrain quasiment vierge tant les éditeurs se sont jusqu’à présent limités à publier des biographies, des ouvrages transversaux sur des genres (dont beaucoup de traductions) et des livres illustrés. Notre planning éditorial est quasiment bouclé jusqu’à fin 2008. Mais c’est sans fin. Par exemple, maintenant qu’on semble sonner leur glas, je rêve d’une « histoire des maisons de disques ». À bon entendeur… Pour cette année, nous prévoyons de publier environ dix titres, ainsi que de lancer une nouvelle collection consacrée à l’image (photos, dessins, pochettes…). Elle sera le pendant des « cahiers » constitués essentiellement de textes, ce qu’on nous reprochait assez souvent (« Mais où sont les images ? » m’a-t-on demandé. Ben justement, elles arrivent…). Sans parler de futurs développements qu’il est encore un peu tôt pour annoncer. À titre personnel, le fait que nos ouvrages soient désormais diffusés en librairie  devrait me permettre de reprendre le stylo (ou le clavier) et me consacrer à un ou deux thèmes qui me tiennent particulièrement à cœur.

Écrire sur le rock aujourd’hui, est-ce un retour vers le futur ?

H.B. : Non, je ne crois pas. Même si le rock ne cesse de se renouveler et de se réinventer, je ne crois pas que ce soit spécifiquement une musique d’avenir. Je pense qu’écrire sur le rock aujourd’hui participe davantage d’une démarche de mémoire, de connaissance et de compréhension d’un passé récent, d’une société qui nous a vus naître, nous ou nos parents, voire nos grands-parents, et peut-être, dans une certaine mesure, d’une connaissance de soi-même. Maintenant, oui, connaître et comprendre le passé semble toujours un atout utile voire indispensable pour comprendre le présent et envisager l’avenir. Mais on peut aussi tout à fait écouter les Strokes sans rien connaître des Stones. L’écoute est juste moins « riche ».

Qui vous a donné un jour l’envie d’écrire sur le rock ?

H.B. : L’envie d’écrire tout court est incontestablement venue de ma passion pour Springsteen, et de l’absence incompréhensible à l’époque de livre disponible en France sur ce mythe vivant du rock. Quand on est fan, vous pensez, quelle frustration ! Si Laurent Chalumeau ou Antoine de Caunes avaient écrit un livre sur Springsteen, je me serais sûrement abstenu de faire le mien. C’est l’occasion qui a fait le larron. Dans une vie antérieure où j’exerçais le beau métier de commissaire aux comptes, j’avais soumis au DG de J’ai lu l’idée de publier des livres pas chers sur le rock. Un an plus tard, la collection Librio musique naissait. Du coup, c’est elle qui m’a fait confiance pour publier mon premier bouquin, une bio de Springsteen. Mon ami Mikaël Ollivier, romancier à succès et fan comme moi, avec qui j’ai co-écrit ce livre, m’a mis le pied à l’étrier en me guidant dans cet exercice qui me changeait des notes de synthèse de comptabilité. Ensuite, ce fut comme une drogue : impossible de m’arrêter… Et aujourd’hui, j’aspire évidemment à écrire sur autre chose que Springsteen, sur lequel, même si je suis loin d’avoir tout dit, j’ai déjà largement atteint mon quota.

De Charlotte Blum à Sebastian Danchin, comment recrutez-vous vos auteurs ?

H.B. : Parfois ce sont eux qui me contactent et me proposent un projet, d’autres fois, je les contacte après avoir lu et aimé un de leurs livres, avec une idée en tête… ou pas. Ensuite, je retiens les projets en fonction de la pertinence et de l’intérêt de leur thème et surtout de leur angle, de leur caractère inédit (au moins en France), de la connaissance approfondie du sujet par l’auteur, et enfin, de la capacité de ce dernier à écrire un livre. Je veille à ce que l’auteur soit non seulement légitime dans sa démarche, mais qu’il sache également construire son récit de façon riche et agréable, et raconter une histoire. Pour l’instant, je privilégie des auteurs francophones, qui écrivent spécifiquement pour les « cahiers », plutôt que de publier des traductions qui ne conviendraient pas pleinement à la collection, que ce soit par leur traitement ou leur format. Au final, chaque livre est un peu la pièce d’un grand puzzle que j’aimerais aider à remplir, grâce à tous ces auteurs.

Votre maquette est très élégante. Qui en est l’auteur ?

H.B. : L’auteur de la maquette extérieure est Tony Grieco, le graphiste de l’excellent magazine Crossroads. J’aime à la fois la personne et son travail, toujours élégant, sobre sans être triste, attirant sans être racoleur, ouvert sans être bordélique. La classe, quoi ! Je lui avais donné deux ou trois lignes directrices, des pistes, mais ensuite il a tout fait tout seul. Je ne m’en lasse pas…
Jusqu’à présent, je me suis chargé de la maquette intérieure. J’ai voulu faire sobre. Priorité au texte.

Hugues Barrière, vous êtes l’auteur d’un très bon « Born in the USA« , sur Bruce Springsteen. Aux Cahiers du rock, c’est qui le boss ?

H.B. : C’est Bruce, forcément ! D’ailleurs, je force contractuellement tous les auteurs à en parler quel que soit le sujet de leur livre (;+>)! J’ai même failli appeler la collection « les cahiers du boss ». Je plaisante, bien sûr. Cela dit, ceux qui me connaissent ont tous remarqué chez moi une inquiétante ressemblance physique avec Springsteen. Mon surnom est d’ailleurs… Hugo Boss. Alors, simple ressemblance fortuite ? Mimétisme inconscient ? Identification pathologique ? Aliénation irrémédiable ? J’ai ma petite idée sur la question… Mais heureusement, après qu’Antoine de Caunes m’a taxé de « pauvre fou monomaniaque obsessionnel », j’ai entrepris une thérapie tout à fait efficace (écrire encore plus de livres sur le sujet !) et depuis, j’ai pris quelque distance avec le culte que je vouais à Son Altesse Patronissime. Mais blague à part c’est une bonne question. Si je suis effectivement aux manettes de cette collection, je suis surtout au service d’une cause qui me passionne : parler du rock, aider à le comprendre, le connaître. Les livres et la musique, ce sont peut-être eux mes vrais patrons.

Qu’écoute Hugues Barrière en ce moment… et que lit-il ?

H.B. : J’écoute avec intérêt les albums recommandés par les auteurs en annexe de leurs livres. J’y découvre plein de merveilles. Sinon, j’écoute une grande variété de choses allant du classique (Bach) au jazz (les grands sax et le jazz vocal féminin), en passant par la chanson française (Arbon, Jeanne Cherhal, Aznavour forever) et le rock bien évidemment mais en m’arrêtant en général avant le rap, la techno et l’électro. Je n’y suis pas encore « arrivé » faute d’avoir écouté (et surtout suffisamment réécouté) tout ce qui s’est déjà fait avant dans l’immense catalogue du blues, du folk, du rock et de tous leurs dérivés. Mais je ne désespère pas d’y arriver un jour, sans doute quand le temps aura fait sa sélection. Sinon, dans cette catégorie fourre-tout qu’on appelle pop-rock, j’essaie d’alterner les albums pour le plaisir (beaucoup de « madeleines proustiennes »), d’autres pour compléter mes connaissances fortement lacunaires (rattrapage impossible, comment tout écouter ?), d’autres, enfin pour le « boulot ». Je me fais violence pour me forcer à écouter tout un tas de nouveautés qui me déçoivent souvent et auxquelles je regrette d’avoir sacrifié une valeur sure. Enfin, j’aurais du mal à vous dire le contraire, j’écoute encore un peu de Springsteen par-ci par-là. Essentiellement du matériel pirate. Le reste, je le connais vraiment par cœur. Sinon, en ce moment, j’ai une grosse période Johnny Cash qui n’en finit plus de finir, pas mal d’Elliott Smith, Southside Johnny, Fleetwood Mac, Supertramp, Pink Floyd, AC/DC. Dylan, à intervalles réguliers. J’aime bien dénicher des raretés, des inédits. Je craque souvent pour des rééditions collector avec bonus.
Quant aux lectures, en dehors des manuscrits que je reçois et des livres des confrères, je n’ai même plus le temps de lire un seul roman ou livre qui ne parle pas de musique. Tout juste quelques magazines, blogs, forums et webzines… rock bien sûr ! Je regarde aussi tous les rockumentaires en DVD sur lesquels je peux mettre la main. Et comme disait le bon Warren, « I’ll sleep when I’m dead »…

Titres publiés
Mielvaque 2. Imposteur politique de la IIIe République
Mielvaque, imposteur romantique de la IIIe République
Cahier #1 - Born in the U.S.A.
Titres traduits
Pearl Jam twenty
Hound Dog
Big Man
Titres préfacés
Les dieux du rock