1. Le déni des disbelievers
L’élaboration et la perpétuation d’un mythe est bien évidemment le résultat d’une forme de refus de la mort. Ceux, dont on a vu qu’ils avaient intérêt à ce qu’Elvis continue d’occuper le devant de la scène, vont donc œuvrer efficacement pour que l’on ne l’oublie pas. Mais ils n’en acceptent pas moins la réalité de la mort physique du chanteur, le 16 août 1977, et les conclusions de l’enquête.
Ce n’est pas le cas de tous. Certains – des fans essentiellement – qu’on appelle les « disbelievers » (« ceux qui ne croient pas ») refusent la thèse de la mort du chanteur et sont convaincus qu’après avoir scénarisé et simulé sa mort, il coule en réalité des jours paisibles quelque part dans le monde. La nuit du 29 août 1977, trois hommes sont arrêtés alors qu’ils tentent de dérober le corps de Presley enterré au cimetière de Forest Hill. L’un d’eux déclare qu’il voulait ouvrir le cercueil pour prouver qu’il était vide et qu’Elvis était encore en vie. Depuis, médias et presse à sensation confortent ces disbelievers dans leur conviction, l’alimentant depuis 1977 avec de nouveaux témoignages de l’existence de Presley. En 1989, le Geraldo Riviera Show propose un débat télévisé auquel participe un médium, sur le thème « Elvis est-il toujours vivant ? ». La radio W.Y.H.Y. de Nashville promet un million de dollars pour une interview de Presley, tandis que le journal The Sun propose à Elvis de venir chanter au moins trois de ses tubes à la rédaction en échange d’une rémunération de 1,75 million de dollars .
Le groupe des disbelievers grandit d’année en année et affine sa thèse, l’étaye de nouveaux arguments, au point de convertir certains indécis. Une étude parue au milieu des années 1990 témoigne de ce que 17 % des américains croient le chanteur encore vivant . Le phénomène prend de l’ampleur et suscite de plus en plus de films : le dernier en date – Bubba Ho-Tep, de John Coscarelli (États-Unis, 2002) – met en scène un Elvis vieux et handicapé, passant ses vieux jours dans une maison de retraite aux États-Unis. Le réalisateur Adam Muskiewicz tourne en 2007 un documentaire sur le sujet, The Truth About Elvis, résultat d’une longue enquête de deux ans l’ayant conduit à réaliser plus de cent cinquante entretiens avec des personnes persuadées qu’Elvis n’est pas mort. Lui-même convaincu, il a offert une récompense de trois millions de dollars à qui en apporterait la preuve. Les ouvrages sur la question sont légion. Certains analysent cette « incrédulité », d’autres la soutiennent : Gail Brewer Giorgio a écrit un livre au titre révélateur, vendu avec une cassette contenant une chanson prétendument enregistrée par le chanteur en 1981, soit quatre ans après sa mort, ainsi que l’enregistrement d’une communication téléphonique donnée par le chanteur après la date de sa mort officielle .
L’association « Elvis lives fan club » rassemble divers témoignages et se donne pour objectif d’établir la vérité. On peut acheter via son site des tee-shirts portant l’inscription « He’s alive » (« il est vivant »). Un américain, Phil Aitcheson, a fondé en 1992 une « Commission Presley », qui réunit un réseau d’individus désireux d’enquêter sur la mort de Presley. Cette commission se veut un centre de vérification des multiples témoignages et éléments nouveaux (photographies d’Elvis après sa mort, enregistrements sonores de sa voix, documents divers…) concernant l’existence « posthume » du chanteur. Elle a publié en 1995 un rapport soutenant la thèse d’une probable organisation de la mort de Presley pour le soustraire à des menaces, avec la complicité des membres les plus influents du gouvernement américain.
Ainsi organisés en associations ou commissions, les disbelievers avancent de nombreuses et prétendues preuves permettant de ne pas croire en la version officielle de la disparition du King. Le comportement d’Elvis avant sa mort est présenté comme troublant. En effet, le chanteur aurait par exemple conclu son ultime concert à Hawaii en gratifiant son public d’un « adieu » alors qu’il avait coutume de déclarer « on se revoie au prochain show ». De plus, il aurait dédaigné de commander les indispensables nouveaux costumes pour sa pro-chaine tournée déjà programmée. La divergence des témoignages de ceux qui l’ont découvert et lui ont apporté les premiers soins est également soulignée : un pompier affirme que le corps était froid à l’arrivée des secours à Grace-land, démenti par un autre qui prétend qu’Elvis semblait respirer encore. Ces deux affirmations contradictoires sont confirmées, l’une par Ginger Alden et Al Strada, la seconde par Joe Esposito. La disparition des prélèvements effectués lors de l’autopsie (envoyés sous scellés à Washington) et celle du certificat de décès original, semblent autant de preuves de la manipulation selon les disbelievers. La précipitation avec laquelle a été effectué l’enterrement, le fait que le prénom complet de Presley soit mal orthographié sur la stèle (Elvis Aaron en lieu et place d’Elvis Aron), ou encore que le chanteur soit enterré non pas auprès de sa mère conformément à son vœu mais entre son père et sa grand-mère, remettrait sérieusement en cause la réalité de sa mort.
La thèse de l’organisation de sa propre disparition par Elvis serait en outre attestée par sa passion pour la numérologie (le livre des Nombres de Chiro) et par un savant calcul mathématique : l’addition des chiffres de la date de sa mort (16 + 08 + 1977) donne le résultat 2001, titre du film favori du chanteur dans lequel le héros planifie son immortalité. Les disbelievers citent également une conversation téléphonique qu’aurait eue Presley deux jours avant sa « mort » avec une amie, Mademoiselle Forster. Il lui aurait annoncé qu’il n’effectuerait pas sa prochaine tournée et lui aurait recommandé de ne pas croire ce qu’elle lirait bientôt à son sujet dans la presse et de ne pas s’en inquiéter.
Pour asseoir la thèse de la mise en scène de la mort de Presley, les disbelievers révèlent les différents motifs du chanteur. Victime de sa popularité, il ne supportait plus son existence de reclus, condamné à se cacher, à se déguiser et à faire appel à des sosies pour tromper la surveillance incessante des fans et des paparazzi. En fin de carrière, épuisé, malade, vieil-lissant, il rêvait d’une telle issue. Il avait d’ailleurs déjà mis en scène son propre assassinat par un tueur, afin d’observer les réactions de ses proches. De plus, sa vie, affirment les disbelievers, était menacée, du fait de son active collaboration avec le gouvernement contre les réseaux du crime organisé (collaboration « prouvée » par son obtention du badge du FBI).
Ses connaissances en matière de pharmacologie ainsi que son expérience des arts martiaux et des techniques de respiration auraient permis à Presley de donner le change lors de la découverte de son corps. Il aurait ainsi simulé la mort en ralentissant son rythme cardiaque et sa respiration. Certains avancent qu’il aurait même bénéficié, pour l’organisation de sa nouvelle vie sous une fausse identité, de l’aide précieuse d’un expert en la matière : son propre manager, le Colonel Parker, immigrant hollandais lui-même entré aux États-Unis sous une fausse identité. D’autres considèrent qu’Elvis a bénéficié du programme fédéral de protection des témoins mis en place par l’administration américaine, qui permet de changer d’identité et de protéger un individu contre les risques de pression ou de représailles. Selon cette thèse, le chanteur aurait bien été victime d’un malaise cardiaque le 16 août dans sa salle de bain puis aurait été transporté au Baptist Memorial Hospital. Mais il au-rait été réanimé et transporté dans le plus grand secret en hélicoptère vers une destination inconnue. Chaque témoignage concernant ce mystérieux hélicoptère aux abords de l’hôpital vient confirmer la thèse du « programme de protection des témoins ».
Autre piste : le cercueil était bien trop lourd. Son poids de neuf cent livres (quatre cent cinquante kilos) s’expliquerait par la présence non d’un corps mais d’un mannequin de cire et d’un système de réfrigération empêchant la cire de fondre (à l’origine du froid qui, aux dires de certains, se dégageait du cercueil). Cette thèse du mannequin de cire est fréquemment avancée pour expliquer les dissemblances entre le corps dans le cercueil et celui d’Elvis (un corps trop petit d’une dizaine de centimètres et trop mince, un nez aplati, des sourcils trop arqués, des mains trop lisses, le « décollement » d’un des favoris…), au point que même certains membres de la famille ne reconnaissent pas Elvis lors de la veillée funèbre. Selon les disbelievers, c’est ce même mannequin de cire et non la dépouille du chanteur, qui sera transporté dans le fourgon mortuaire lors de la procession sur le boulevard Presley, puis mis en terre.
Parmi les autres « preuves » du décès simulé d’Elvis figure le fait qu’il ait été « vu », quelques heures après sa mort, achetant un billet d’avion pour Buenos Aires sous le pseudonyme Jon Burrows, que Presley avait l’habitude d’utiliser pour préserver son anonymat. Lucy de Barbon, une ancienne conquête du chanteur, aurait reçu une rose avec une carte signée « El Lancelot », sur-nom qu’elle donnait à Elvis lors de leur relation, détail connu d’eux seuls. Beaucoup sont ainsi convaincus qu’Elvis est non seulement vivant mais qu’il s’est offert le luxe d’un retour quelque temps parmi nous. En effet, succom-bant au désir de chanter à nouveau et de retrouver les joies de la scène, il aurait organisé ce retour sous l’identité d’Orion (Jimmy Ellis de son vrai nom), un chanteur masqué ayant réellement existé et qui lui ressemblait étrangement.
Il est important de préciser que les disbelievers ne croient pas en une résurrection d’Elvis Presley qui impliquerait sa mort, puis le miracle de son retour à la vie : ils réfutent la mort elle-même. La thèse de la manipulation et de la mise en scène de la fausse disparition, le type de démonstration et d’argumentaire (recours à la preuve scientifique, souci affirmé d’objectivité et de distanciation, revendication de la rigueur comme de la précision), le procédé d’investigation (enquête, scientifique, policière, journalistique), le mode d’organisation (en commission d’enquête) sont du registre de la rationalité et non de la croyance, de la foi ou du religieux.
Le succès de la thèse des disbelievers repose non seulement sur le refus de la mort de l’être adoré mais aussi sur la théorie de plus en plus répandue de la « conspiration », cette conspiracy theory selon laquelle on nous trompe et on nous ment au profit d’une cause secrète qui nous dépasserait. Semblables suspicion ou fantasme (sans toutefois susciter un tel phénomène) entoure les disparitions de Jim Morrison, Marilyn Monroe, John F. Kennedy ou même Napoléon. Lorsque l’on ne nie pas la réalité de la mort, on en réfute la version officielle au profit d’une version plus mystérieuse ou scandaleuse et tenue secrète : un suicide, un meurtre, une overdose… Il reste que le déni de la disparition du chanteur est un phénomène marginal. Ce n’est pas lui qui explique qu’Elvis soit toujours « vivant ». Il serait, au contraire, du fait même qu’il implique la négation de la mort, un obstacle à la résurrection d’Elvis Presley comme héros mythique.
© 2007, Autour du livre.
2 reviews for Elvis est vivant !
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DIDIERLAURENT
Bon livre sur Presley
Bonne étude sur le culte d’ELVIS PRESLEY. Le livre est un peu court mais intéressant tout de même. On apprend peu de choses sur la vie de Presley mais ce n’est pas le sujet du livre.
Raoul (amazon.fr)
Fine étude.
Pour une fois qu’un sociologue français se penche sur le phénomène Presley, c’est une réussite. Cet aspect de la musique populaire est trop peu étudié dans notre pays qui se complet dans la « KULTURE » classique mais ignore totalement ce qui fait l’histoire musicale populaire. A quand la même étude fouillée sur nos années 60/70 ?